On ne naît pas timide, on le devient
disait le grand Professeur Stutz. S’il avait toutefois existé, il aurait pu ajouter qu’une vie entière ne suffit point à se défaire de sa timidité. Certains la soignent en montant sur les planches, d’autres en se forçant à ne pas s’effacer systématiquement devant le piéton d’en face. Sauf s’il s’agit d’un boulet ou d’un fauteur de troubles avéré, auquel cas le changement de trottoir reste la seule alternative.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Ce petit t, ce d discret, ce m lové dans sa coquille et son duo de i pusillanimes ne jouent pas, il faut bien le dire, en la faveur de timide. On jurerait le costume taillé sur mesure, dans la même étoffe d’ailleurs que celui de timoré, ce que confirme toute une panoplie latine (timefactus, « effrayé », timescere, « s’effrayer », timendus, « redoutable », timiditas, « timidité », timide, « timidement », timidule, « un peu timidement » [alias « très timidement »], timor, « crainte, appréhension »), le tout tiré du verbe timere, « craindre ».
Par chez nous, le timide de 1528 (« d’un naturel craintif, facilement effrayé ») aggrave son cas en 1654 : « qui manque d’audace, de vigueur, qui est incapable de prendre des décisions énergiques » (→ chiffe molle). Bientôt, la timidité « se dit du manque de hardiesse dans les ouvrages de l’esprit » sous la plume de Boileau. Et sous celle du contemporain Molière, l’adjectif se fige dans son sens courant : « qui manque d’aisance et d’assurance dans ses rapports avec autrui ».
En vérité je vous le dis : la timidité, c’est rien que des complexes mal placés.
A la lueur de l’étymo revient en tout cas l’idée de « ne pas oser ». D’où la confusion fréquente avec les gens réservés – qui sont en réalité de faux timides (→ n’en penser pas moins).
Sur la base de l’indo-européen commun tem-, certains n’hésitent pas à rapprocher notre timide de temetum (« vin pur »), ayant engendré temulentus (« hébété, saoul ») et son contraire abstemius limpide comme la flotte.
Faut pas s’étonner que le rouge nous monte aux joues et qu’on se retrouve à bafouiller pour un oui pour un non en faisant des écarts dans la rue.
Merci de votre attention.