Apprivoiser

 

Bien qu’on ait apprivoisé apprivoiser, restons circonspects en tapant aux barreaux de la cage.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Apprivoiser se dit d’un animal rendu « moins sauvage, moins farouche ». Au figuré, on peut apprivoiser quelqu’un comme sa propre douleur. Si bien qu’avec de l’entraînement, on peut apprivoiser n’importe quoi. Même sa prononciation [apʀivwaze] nous éclabousse de sa beauté bestiale.

 

C’est à l’orée du XIIIe siècle que l’on commence à aprivoisier tous azimuts. Ou à apriver selon l’humeur. Mesurez bien à quel vocable bassement matériel nous avons échappé, nous autres.

Parce que tout ça, c’est de la faute au latin sauvage apprivatiare, échappé de privatus (la bestiole apprivoisée devenant en quelque sorte la propriété privée de son maître) ou d’apprivatare (v. le vieux provençal aprivadar, « familiariser »).

Mais la racine est la même, ne chipotons point, et ne nous privons pas plus longtemps de l’étymo de privé.

 

Vie, plage, appartements, le privé est toujours caché à la vue du public. D’où guéguerre perpétuelle. Normal, privatus (→ privatif, privatiser et, plus prégnant encore, l’anglais private) est clairement « séparé » du reste. En cause, l’indo-européen prai- ou prei- construit sur per-, « devant ». Il y a des précédents.

Au rayon produits dérivés, on ne trouve hélas qu’apprivoisement et, à la limite du bon goût, apprivoisable.

Heureusement, Totor est là pour relever le niveau :

Apprivoiser, c’est là tout le gouvernement,
Régner, c’est l’art de faire, énigmes délicates,
Marcher les chiens debout et l’homme à quatre pattes.

Merci de votre attention.

Comment non-remplacer un président sur deux ?

 

Soyez honnête : vous coûtez trop cher. Ne pouvant vous virer sur-le-champ, les pouvoirs publics ayant en charge la fonction du même nom se sont donc mis en tête de vous non-remplacer à l’heure de la quille. Alors que votre collègue en foutait encore moins que vous. Dites-vous que ça ne vous concerne plus. A plus ou moins long terme, vous et vos semblables serez éradiqués.

Et le plus tôt sera le mieux.
Rapide calcul : à l’heure actuelle, le pays compte cinq millions et demi de parasites. Il suffirait de non-remplacer tous les départs (2% par an) pour qu’au bout de 50 piges plus personne ne fasse tourner la boutique.

Idée lumineuse ! Pourquoi ne pas l’appliquer à tous les corps de métier ? A commencer par le haut de la pyramide où, entre nous, les frais vont bon train : chauffeurs, gardes du corps, réceptions, essence et kérosènes divers, entretien du palais… le tout sur vos deniers.

Les ors de la République grèvent votre budget ? Réduisez la voilure : exigez le non-remplacement d’un président sortant sur deux.

non-remplacer2Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en citoyen civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  « Elections, piège à khôns » ? Essayez l’anarchie. Si l’expérience n’est pas concluante au bout d’un quinquennat, mettez un intérimaire sur le coup.

 

♦  Le service public fait de plus en plus de place au privé. Une fois le mandat du dernier président échu, lancez un appel d’offres et engagez une boîte privée pour veiller aux intérêts de la nation. Ça ne vous coûtera pas moins cher mais au moins, ça fera jouer la concurrence.

 

♦  Si le législateur laisse tout pisser, c’est qu’il n’est pas motivé. Que lui rapporté-ce personnellement de porter le pays à bout de bras ? Faites du statut de « Français moyen » une condition d’éligibilité. L’ex-smicard de président s’attaquera en priorité au pouvoir d’achat, de même qu’un ex-taulard (ça devrait être moins difficile à trouver) redonnerait de l’air aux prisons.

 

♦  Le jour où il n’y aura plus de fonctionnaires, le président, privé de boucs émissaires, sera bien malheureux. Autant épargner cette peine à ses successeurs.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Comment rentabiliser vos employés à 100 % ?

 

La raison fondamentale qui vous pousse de bon matin à nouer votre cravate n’est-elle point de faire du pognon ? Ta-ta-ta, ne vous étranglez pas, patrons (la cravate s’en charge), ne jouez pas les vierges effarouchées, épargnez-nous le couplet sur l’« esprit d’entreprise » ou le « bien-être » de vos employés, de grâce.
Quant à cette histoire de concurrence que vous auriez à « subir », étymologiquement, vous y courez tout seul. Au nom du khâpitalisme, ce concours mondial de quéquettes en avant dans lequel vous jetez toutes vos forces.

 

Il est vrai que vous n’êtes pas soutenu. L’homme politique actuellement au gouvernail décline dans toutes les langues son « amour » pour l’entreprise. Sur un plateau de télévision, un de ses opposants (sic) balance le code du travail comme s’il lui brûlait les doigts sans que personne ne moufte.
Pas question d’embaucher pis quoi encore ? Soyez inflexible : exigez de la flexibilité.

Loin de tout « dogme » et autres mots à fiche les jetons, quelques conseils frappés au coin du bon sens vous aideront à tirer le meilleur parti de vos subalternes.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en boss civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Time is money. Si, sur le papier, vos employés n’ont pas volé leur pause déjeuner, ils y mâchent littéralement le travail. La seule vue de cette mastication chronophage vous donne des aigreurs ? Mettez une petite équipe de scientifiques danois sur le coup, qui préconisera pour tout le monde une alimentation exclusivement liquide. Que de précieux quarts d’heure de pauses caca économisés !

 

♦  En inversant la proposition « travailler plus pour gagner plus », n’ont le droit de toucher plus que ceux qui triment davantage, CQFD. Tout compétents qu’ils sont, les réfractaires aux heures sup pourront toujours venir pleurnicher sur cet avancement ou cette augmentation que vous ne leur accordez jamais. Comme si la seule motivation dans la vie était le pognon, allons allons, tsk tsk.

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♦  Pour sauver la patrie, rien de tel que le non-remplacement de ses serviteurs partant à la retraite. Bon sang mais c’est bien sûr ! Dans le privé, vous ragez de n’avoir pas eu vous-même cette idée lumineuse. Divisez par deux les charges qui pèsent sur votre budget : virez la moitié de l’effectif. La boutique tournera comme elle n’a jamais tourné.

 

♦  A la guerre comme à la guerre, appliquez la devise « Arbeit macht frei » qui a fait ses preuves question rendement. Pas d’horaires, pas de salaire, droit de grève et autres acquis sociaux réduits au strict minimum ! Seule contrainte : la surveillance, que vous renforcerez en briefant les sous-chefs.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Live

 

Vous aviez rotin ou atelier vinaigrette mais permettez que je vous coupe dans votre élan : il y va du bon usage de live. Non le verbe anglais [liv] dénué de toute équivoque, mais son rejeton [lajv]. Adopté par maintes langues dont la nôtre, il règne quant au sens de l’adjectif un certain flou. « En direct » ou « en public » ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Sur les ondes, live se dit sans sourciller d’une émission « en direct ». S’agissant d’une captation destinée à un support audio ou vidéo, c’est au contraire « en public » qui vient à l’esprit. « Au contraire » insisté-je, car les faits sont têtus : on peut entendre une causerie confinée aux murs d’un studio « en direct » aussi bien que refroidie devant de nombreux témoins.

Car entendons-nous bien, live n’est qu’alive élagué. La langue française glorifie bien le « spectacle vivant » dès qu’un zintermittent arpente une scène en chair et en os. Pour curieuse qu’elle passe aux esgourdes des non natifs, l’expression se justifie pleinement : je pourrais vous citer une paire de « spectacles morts » à éviter de toute urgence.

 

En terre angliche, live au sens de « en personne » est attesté en 1934. La TSF y apparaissant quelque quinze berges plus tôt, tout porte à croire que le glissement sémantique s’est opéré fissa de l’artiste (« en public ») à l’animateur (« en direct »), selon qui se trouvait dans la lumière. Le transistor a rendu cette personne invisible pour l’auditoire et réciproquement. Lacune « physique » qu’est sans doute venue combler l’acception « en temps réel »…

 

A l’oral, la faille spatio-temporelle s’estompe carrément :

Il l’a fait comme ça, live !

(« devant moi » / « dans l’instant »).

Le mot sert même d’excuse aux ratages de tous ordres :

 Allez, pas grave, c’est du live…

De la spontanéité érigée en grand n’importe quoi (on n’est pas tenu d’adhérer).
Comble de la dépréciation,

 c’est parti en live

supplante régulièrement des tournures déjà fort argotiques comme « en vrille » ou « en sucette ».

Sautant à pieds joints dans la redondance, le français a donc fabriqué « en live » et même « en direct live », censés accentuer l’importance de l’événement. Dans le genre « qui voudrait avoir l’air mais qu’a pas l’air du tout », nous tenons notre rang avec une constance qui force l’admiration.
Il s’en faudrait de peu que live ne parte « en couille ».

Merci de votre attention.