Précaution

 

Tandis que prudence est synonyme de sagesse, précaution garde ce côté chochotte qu’incarne le précautionneux, celui qui ne se mouille que d’un orteil. Les férus de précaution sont même parvenus à l’ériger en principe. Au risque de ne jamais bouger le petit doigt, quand bien même l’eau s’avérerait super-bonne.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme deux précautions valent mieux qu’une, il est de bon ton de les multiplier :

prendre ses précautions,

chose impossible avec prudence. Comme avec « postcaution » du reste, si toutefois ce pendant de précaution avait eu les honneurs de l’Académie. Ce qui laisse entrevoir le rôle central de caution derrière toute l’histoire. Par sécurité (sens primitif de caution), on préfère vérifier.

 

En Latinie, cautio provient du participe passé de cavere, « se tenir sur ses gardes ». En basse Latinie, complexe d’infériorité aidant, praecautio et praecavere finissent par se hisser au même niveau de qui-vive.

Restait plus à Montaigne qu’à user de précautions, « disposition prise pour éviter un mal » ou « manière d’agir prudente, circonspecte » selon les pages.

 

A part caution, qu’a donné cavere ? Dans notre langue, peu de chose. Il faut toquer à la porte de l’indo-européen pour découvrir que le radical skeue- (« faire attention, percevoir ») a essaimé partout. En Grèce : koein, « percevoir, entendre » (et tilt : acouphène). En Anglo-Américanie : show, « montrer, spectacle » (anciennement sceawian, « regarder »). En Germanie : schön le bel (anciennement skoni, « briller »). Même en arabe, chouf chouf, le verbe signifie – excusez du peu – « regarder » ou « faire le guet ».

 

Quant au « charognard » anglais scavenger, s’il ramassait à l’origine les ordures, il ne pouvait les trier qu’après examen, rapport à l’« inspection » picarde et wallonne escauwage, aussi écrit escaulvaige ou escavage.

Heureusement, ç’a été aboli depuis. On n’aurait pas cautionné ça.

Merci de votre attention.

 

Tranquille

 

Du poète intranquille au zupien tranquchille t’chois, il plaît à toutes les générations t’chois, traverse les époques tranquillou, sûr de son charme. N’est-il pas trop cool ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Tranquille fait des envieux chez les épithètes. Paisible et calme ne lui arrivent pas à la cheville prononcée [ij] cette fois comme dans filleu, billeu et quilleu et quelle mouche vous pique d’appuyer sur le –e comme ça ? Du reste, voyez comme la quille est fourbe, qui associée à tran- change complètement son fusil d’épaule.
Enquillons.

 

Les linguistes, prononcés [gwist] comme dans linguine car il se fait faim, nous apprennent que la graphie ill de valeur [il] provient du latin ill devant voyelle autre que i, e :

Cette prononciation ne se maintient que dans trois ou quatre mots extrêmement usités ou, au contraire, dans un certain nombre de mots plus ou moins savants.

Pusillanime, pour ne pas le nommer (sinon il court se planquer).

 

Fort de cette particularité, tranquille nous fait du gringue depuis 1470 sous sa forme définitive, contrairement à l’écrasante majorité des collègues. Pas de e à la place du a, de y à la place du i et autres l uniques. Un diamant brut.

« Calme et serein » depuis l’origine latine, tranquillus a d’abord qualifié l’état de la mer avant de gagner la côte. Nos bulletins de météo marine à nous n’emploient jamais l’adjectif, trop heureux d’être agités à peu agités. Hein qu’ils sont pénibles.

 

De l’eau jusqu’à mi-cuisse, dans le latin jusqu’au cou, on se doute que trans- n’est pas là pour faire genre. Cette chère préposition, elle aussi, traverse tous les courants. Restait plus qu’à lui accoler quies, qu’on ne présente plus.
En version littérale, tranquille donne donc un « au-delà de la quiétude » du meilleur effet.

On ne s’inquiètera pas du fait que celui qui n’est pas tranquille est inquiet.

Merci de votre attention.