Echantillon

 

La dernière fois qu’on vous a parlé d’échantillon, c’était chez Sephora. Ou pour un sondage, auquel cas on s’est empressé d’ajouter « représentatif ». La vache, qu’est-ce qu’il cocotte, ce pléonasme.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car si un échantillon ne « représente » rien, c’est qu’il va bientôt mourir, faute de chlorophylle.

Les dicos se tuent à le dire :

fraction représentative d’un objet, d’un ensemble ;
petite quantité d’un produit permettant d’en apprécier la valeur.

 

Le côté attendrissant du suffixe (gravier → gravillon, oiseau → oisillon et quelques autres qui ne se bousculent pas au portillon) ne doit pas nous détourner de la fonction première de l’échantillon, qui est de servir d’« étalon » (1260).

En ces temps reculés, on écrit alors eschantillon. Moins pour le plaisir qu’à cause – il faut bien le dire – du latin scandiculum, déformation de scandaculum, « échelle »
(anciennement eschale, décalque de l’(e)scala latine).
Les paronymes n’ont plus qu’à pousser comme des champignons : eschandillon, esscandelon, escandalhon. On recense aussi contrôle technique et néoglucogenèse mais il se peut qu’on se soit trompé de page. Voire de rayonnage.

 

Scala, elle, descend du verbe scandere, « monter, gravir » (autant dire escalader). Si les montagnes russes de la scansion du poète requièrent un examen aussi minutieux qu’un scanner, le hasard n’y est pas pour grand-chose. A l’origine de ces joyeusetés, l’indo-européen skand-, « sauter, monter », qui permet de retomber à pieds joints sur le parfum de scandale du début (grec skandalon, « piège monté pour qu’on y trébuche »).

 

Remarquez que l’échantillon est toujours gratuit. C’est pourquoi il encombre le tiroir : on rechigne à le foutre à la poubelle, ce serait scandaleux.

Merci de votre attention.

 

Très

 

Bien que très courant, très ne s’utilise pas à la légère. A quelqu’un que vous aimez beaucoup, n’allez pas dire

Je vous aime très,

ou alors prononcé avec l’exquise maladresse de ceux qui s’essayent au français. A charge pour vous de tenir l’accent sans jamais vous trahir.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

En présence d’un verbe, très ne tolère donc que la voie passive.

Je suis très intéressé par votre pendentif

mais

vos pecs m’intéressent beaucoup.

Sentez la différence ?

Beaucoup n’a d’ailleurs les faveurs de la première proposition que dans sa version pronominale :

Il s’y est beaucoup intéressé.

Remplacez par très, pour voir.
Ou par vachement, qui va pour tout.

Quant à l’anglais very much, nous serions très beaucoup embêtés s’il fallait le traduire de manière littérale.

 

Avec adjectif ou adverbe en revanche, très s’acoquine sans problème.

Il s’y est très tôt intéressé ;
Vos nichons sont vraiment très tentants.

Bien qu’exprimant une quantité similaire devant un nom :

J’ai très envie de vous,

les puristes déplorent cet usage. Plus précisément,

très recouvre un être de langue qui est déficient du côté de la matière et ne constitue qu’une forme imposée à la matière fournie par l’adjectif (…) comme est le signe d’une forme le suffixe de superlatif qui dans certaines langues (cf. ital. -issimo) vient s’ajouter au radical de l’adjectif.
(G. Moignet, Etat de psycho-systématique française).

Aussi balèzes leurs raisonnements soient-ils, les puristes sont barbantissimes.

 

Basta pour la grammaire, l’étymo attend son tour.

On dirait pas mais très n’est qu’un rejeton du latin trans-, « par-delà, de l’autre côté, de part en part ». Il en reste quelque chose dans tréfonds (« tout au fond ») et trépasser (« y passer complètement »).

En vertu de ses pouvoirs superlatifs décrits ci-dessus, très a longtemps joué les préfixes. Au point de faire ventouse avec l’épithète (tresbon, treslong) ! Comme archi-, il a ensuite fonctionné avec trait d’union (très-bon), jusqu’à ce que les zacadémiciens le fixent dans sa forme actuelle en 1877.

 

Rah oui, ç’a été très long, finalement.

Très merci de votre attention.

 

X de chez x

 

Avec les expressions qui se répandent comme des traînées de poudre, allez trouver la mèche. Pas d’autre choix que de s’immiscer dans la tête du locuteur inconnu qui le premier formula cet idiotisme de chez idiotisme. Vous avez lu « idiotie » ? Ravisez-vous.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Vous vous êtes forcément fait piéger l’une ou l’autre fois, notre époque superlative force à dire trop tous les trois mots, à halluciner au moindre étonnement, à en estimer la cause incroyable, énorme ou juste topissime.

« De chez » est plus subtil.

♦  Ce qu’on lui fourre dans les pattes ressemble à s’y méprendre à un complément circonstanciel de provenance (« du caviar de chez Fauchon »). Il n’en est rien. Chose inédite dans toute l’histoire du langage, ce qui provient devient le lieu :

Ça, c’est du caviar de chez caviar !

Astrophysiciens, cherchez plus : là voilà, la quatrième dimension. C’est précisément cette équivalence qui multiplie le premier élément au carré. Blblblblbl.

Le simplisme enfantin ne voit-il pas dans la voiture familiale la quintessence de toutes les voitures ? Sur le même principe, seule la « marque » caviar fabriquera un caviar de cette qualité, toutes les autres étant vouées à proposer des ersatz. « De chez » bat donc à plate couture les « trop », « abusé », « sa mère » et autres « sa race » qui, en dépit de leurs efforts, stagnent dans le quantitatif.

 

♦  Forte de cette supériorité, notre locution offre une deuxième particularité, et non des moindres : elle marche avec adjectif aussi bien qu’avec nom. Et plus si affinités.

J’étais nase de chez nase ;
Il a fait une khônnerie de chez khônnerie.

Mes moutons, c’est peu dire que nous vivons dans un monde marchand de chez marchand, quand on y pense.

 

On ne serait pas surpris d’ouïr quelque automobiliste paumé, carte sur les genoux, gépéhès hors d’état de nuire, se demander au comble de l’irritation :

C’est où de chez où ?

Renseignez-le aimablement par la vitre de sa quintessence de caisse :

C’est facile de chez facile.

Merci de votre attention.