Comment sortir la tête haute d’une sérénade sous le mauvais balcon ?

 

L’art de la romance est une chose qui se perd. Vous ne le savez que trop, une approche rebattue ou trop timide sera vouée à l’échec.

Aussi comptez-vous en mettre plein la vue, la jouer à l’ancienne, peaufiner vos rotrouenges, bref, ne rien laisser au hasard. Conscient que ce béguin-ci ne se représentera pas de sitôt, vous décidez de conter fleurette à l’objet de vos pensées sous ses fenêtres.

L’amour est aveugle ; voilà-t-il pas que vous vous plantez de balcon.

Votre empressement de midinette n’aura réussi à attirer que la virago mitoyenne ou le gros clébard côté pair. Qui, émoustillés par votre bel organe, en pincent désormais pour vous, tandis que le reste du voisinage se déleste des savates destinées d’ordinaire aux matous du quartier.

Il est vrai qu’à cette heure, la rue peu éclairée ne favorisait pas la localisation à coup sûr de la balustrade visée. Mais allez expliquer ça au clebs et à la marâtre enamourée.

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Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en crooner civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Pour votre sérénade, choisissez le jour de la Fête de la musique. Tout le monde marchant sur les plates-bandes de tout le monde, vous aurez beau jeu de faire croire que ce n’était pas vous l’interprète, à l’instant.

 

♦  Si l’on vous interpelle des étages, prétextez que vous vous adressiez au rez-de-chaussée. Raison pour laquelle personne ne vous saute dans les bras du reste.

 

♦  Sous-traitez avec les Mariachis Associés. Une filiale sous chaque balcon, impossible de louper le coche ! Vous éviterez en sus de vous user la voix.

 

♦  Repérez des logements vacants pour vous entraîner. Vous vous habituerez ainsi au silence glacial accueillant vos derniers trémolos (y compris lorsque vous serez sous le bon balcon).

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Rez-de-chaussée

 

Les cruciverbistes, verbicrucistes et autres transgenres de la grille le savent bien : dès qu’on parle du Dieu-Soleil des Zégyptiens, et sont interchangeables. Rez et ras aussi, sans vouloir la ramener.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Avec son z final, survivance comme on les aime du vieux français (chez, lez, nez et on a fait le tour), rez équivaut donc à ras. Mais pas à raz, cette « énorme vague isolée qui déferle violemment sur la côte ». Imaginez quelle fâcheuse répétition du –rée de marée nous aurait valu un « rez de marée » – en sus des dégâts matériels.

 

L’usage de rez tout seul s’est perdu, quoiqu’il chiait la classe :

Le comte d’Huntingdon, demeuré sur la flotte (…) avoit ordre de suivre rez les côtes le mouvement des troupes. (Chateaubriand)

Depuis, vu son sens, on lui a fourré dans les pattes un complément de lieu. Rez-de-chaussée : « à ras de la chaussée » ; ça perd un peu de son charme, m’enfin, faut ce qui faut.

 

Rez/ras, version rasibus de rasus, participe du verbe latin radere : « raser » dans tous les sens du terme. Dérivés auxquels on ne pense pas, bien que sous nos yeux : abrasif (qui ôte en raclant), râteau (qui ôte en raclant). Sans parler d’éroder et de corrosif, couvés par le cousin rodere.

 

Et chaussée dans tout ça ? Les latinistes la font descendre du non académique calciata, « faite à la chaux », en parlant d’une route. D’aucuns, soutenant – à raison – que calx n’est pas seulement de la chaux, oublient – à tort – que les trottoirs ne sont pas faits pour les chiens.

 

Soulignons qu’habiter au rez-de-chaussée sans ascenseur est un des seuls luxes que l’on puisse se permettre indépendamment de ses revenus.

Merci de votre attention.

 

Comment rappeler votre nom à quelqu’un qui ne vous remet pas ?

 

On est parfois plus célèbre qu’on ne croit. D’où cet illustre inconnu peut-il bien vous connaître ? Au point de vous tutoyer qui plus est ? Vous voulez bien être changé(e) en cochon si l’endroit où vous les auriez gardés ensemble vous revenait en mémoire.

Voilà pour l’épisode plaisant. Mais la gloire cèdera bien vite la place à l’anonymat. Ainsi, à peine tombez-vous sur cette vieille branche, cette connaissance du temps jadis, ce long lost friend dans la langue de Shakespeare, que vous décelez dans son œil qui se fige un effort désespéré pour vous remettre. Et toutes les contorsions linguistiques qui vont avec pour éviter de balancer un nom au petit bonheur la chance.

Si l’autre n’a pas plus changé que ça, vous non plus, sans fausse modestie. Du moins vous semble-t-il. Alors quoi ? La vexation le dispute à une désillusion dont l’amertume n’a d’égale que la tendresse que vous lui portiez, à çui-là/cellate.

Vous avez le choix : relativiser en songeant qu’on est bien peu de chose ou, au contraire, réparer l’oubli, histoire de cautériser un peu votre amour-propre.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en fantôme civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Lorsque vous sentez arriver le râteau à retardement (ou « râteaurdement », au risque d’un mot-valise), proposez à l’interlocuteur un blase totalement différent du vôtre. Savourez alors ses ronds de jambe, sachant que les conjectures sur votre identité iront bon train quoi qu’il arrive sitôt que vous aurez pris congé.

 

♦  Œil pour œil, dent pour dent : feignez d’avoir à votre tour son nom sur le bout de la langue.

 

♦  Des scrupules ? Tentez le coup du jumeau caché. Convaincu de n’avoir – et pour cause – aucun souvenir commun avec vous, il n’essayera même plus de vous situer, vous épargnant ainsi qu’à lui-même la comédie des retrouvailles. Une fois la méprise dissipée, libre à vous d’enchaîner sur le curriculum de votre homozygote.

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♦  Portez toujours sur vous un badge nominatif. Si vous travaillez en caisse, comme officier de police ou agent au service secret de Sa Majesté, la force de l’habitude aura raison de la gêne.

 

♦  Réunissez tout le pognon nécessaire et changez votre nom en Machin(e). Et si c’est un peu raide à porter, pourquoi pas un nom composé ? Trucmuche, Machin-chose… Ça arrangera ceux qui détestaient leur prénom et évitera bien des déceptions face à vos oublieux.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Pourquoi ne pas s’avouer ses sentiments profonds ?

 

Ceux que vous côtoyez ignorent pour la plupart tout le bien ou le mal que vous pensez d’eux. Regrettable autocensure. Certes, la nature de vos relations s’appuie sur une certaine réciprocité des sentiments : si x recherche votre compagnie, ce n’est pas pour vos beaux yeux mais parce que vous lui montrez, plus ou moins savamment, que vous l’appréciez itou.
Ça vaut aussi – et même surtout – lorsque vous ne pouvez blairer la personne. D’expérience, vous vous doutez que ce khôn d’y ne vous porte pas non plus dans son cœur. Vous en tireriez fierté d’ailleurs, si une mutuelle hypocrisie ne vous nimbait de honte à chacune de ses apparitions.

Or, au comble de la chamade comme au faîte de la détestation, vous aimeriez que les choses soient dites une fois pour toutes et sans détour. Si la politesse, les conventions sociales et autres billevesées vous en empêchent, prenez votre courage à deux mains et mettez les pieds dans le plat, votre main dans sa gueule, votre bouche dans la sienne – libre à vous.
Pour radicale qu’elle puisse passer de prime abord, votre petite mise au point vous vaudra à coup sûr l’admiration de tous, à commencer par celle de l’autre.
Mais, pour que votre franchise ne soit pas mal perçue, sachez vous entourer de précautions.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en puits de sincérité civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Il arrive qu’exprimer tout à trac votre transport laisse votre interlocuteur de marbre. Communément appelé « râteau », cette (absence de) réaction permet au moins de lever tout malentendu et de pouvoir le cas échéant passer à autre chose.
A l’inverse, il se peut que votre vis-à-vis s’étonne que vous déblatériez à son sujet car lui vous estime au plus haut point. Dans ce cas, pas de mauvais réflexe : au lieu de bredouiller que vous n’en pensiez pas un mot, allez jusqu’au bout et intronisez-le boulet sur-le-champ.

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♦  Si c’est un gros balèze auquel vous adressez vos remontrances, assurez-vous, avant d’entamer les hostilités, qu’il soit bien attaché et/ou tenu à chaque membre par des comparses ayant suffisamment petit-déjeuné. Privilégiez pour votre coming out le jour où vous le croiserez pour la dernière fois de votre vie, afin qu’il ne retrouve pas votre trace.
Idem si vous en pincez pour la femme du gros balèze.

 

♦  Si vous vous apprêtez à déclarer votre flamme à un sourd, révisez votre langue des signes. Sans quoi vous risquez, à l’instant fatidique, de confondre « je me consume d’amour » avec « tu me sors par tous les trous ».

 

♦  Enfin, il est si simple de changer de banquier ou de garagiste qu’eux aussi méritent d’entendre leurs quatre vérités. Mais sachant qu’il ne vous reste qu’une mensualité pour le prêt de la bagnole, faites-les mariner jusqu’au mois prochain.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.