Efficient

 

Tandis qu’efficace et sa singulière finale claquent au vent, efficient s’insinue, sournois, jusque dans la parlotte manadjériale.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Qu’est-ce qu’efficace ?

Qui fait de l’effet, qui produit des résultats.

A peu de chose près l’équivalent d’efficient en grand-breton, langue des zaffaires :

qui produit un effet immédiat, effectif.

Les frenchies qui le prisent ne sentent même plus que c’est pour faire genre ; causez-leur d’anglicisme, ils vous laugheront carrément au nose.
Alors qu’efficace est encore nimbé de subjectivité, la stature d’efficient se veut indiscutable. Il y a du coefficient dans efficient, et au bout d’efficience science. Déficience, dites-vous ?

 

Ci-contre un remède efficace (si pas infaillible) à efficient : considérez votre aspirine vespérale. Pas toujours super-efficace, alors « super-efficiente » ? On en choperait des maux de tête si ce n’était si risible.

 

A ceux que la « modernité » d’efficient séduit, rappelons qu’on le débusque déjà au XIIIe siècle, avant qu’efficace ne lui soit une fois pour toutes préféré.
Dans un Robert pas plus vieux de dix ans, tout juste le vilain qualifie-t-il pour les philosophes une cause « qui possède en soi la force nécessaire pour produire un effet réel ».

On veut bien que la théorie dictionnairique ait du retard sur la pratique de la langue. Mais rendez-vous dans une décennie : vingt contre un qu’efficient sera toujours ce vieux garçon qui ne se compromet qu’avec du très pointu.

D’ailleurs, la meilleure preuve qu’efficace le bat à plate couture reste efficacement. Poireautez, poireautez, l’adverbe né d’efficient n’est pas pour après-demain.

 

Dans une somme sur le pouvoir des mots*, ce vieux roublard de Régis Debray distingue trois moments dans l’Histoire : l’écriture, l’imprimerie et, nous y sommes en plein, l’audiovisuel. A quoi les hommes se réfèrent-ils pendant ces périodes respectives ? Le divin (« il le faut, c’est sacré »), l’idéal (« il le faut, c’est vrai ») et le performant (« il le faut, ça marche »).

Efficace devait être aux fraises pour que nous exhumassions efficient. Tout est histoire de rendement.

Merci de votre attention.

 

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* Cours de médiologie générale, NRF, Gallimard, 1991.

Tout un symbole

 

Histoire de partager symboliquement une colère symbolique, on souhaiterait symboliquement attirer votre attention sur la brouettée de symboles qui émaillent le baragouin audiovisuel. Bougez pas, vous allez comprendre. Une causerie sur le ouèbe nous avait jadis mis – symboliquement – la puce à l’oreille. Voici l’extrait (le restant ) :

Même les journalistes (…) tendent à interpréter les événements dans une optique sémiotique. Quand, dans un pays quelconque, en Afrique, en Asie ou en Europe centrale, la population révoltée incendie le parlement, l’immeuble de la télévision et le siège du parti politique au pouvoir, les commentateurs parlent invariablement de « symboles », comme si ce qui comptait n’était pas la réalité des actes mais leur « signification ». Mais les cibles en question sont tout simplement des objectifs stratégiques : les manifestants sont en train de renverser le pouvoir et non de renverser des symboles. Arrivée en bout de course, l’anti-référentialité est devenue un poncif et un tic intellectuel : tout événement disparaît continuellement derrière son « sens ».

Magistral, pas ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Sans partir sous des cieux si lointains, vous l’aurez capté au hasard des zinfos : oncques manifestation au coin de la rue, pas un hissage de drapeau qui ne se déroule symboliquement. Ça doit leur faire plaisir, aux pied-de-gruïstes, d’apprendre qu’ils ont sorti tout leur barda pour rire ; leur action ne risque pas d’avoir d’effets concrets puisqu’elle était symbolique.

Si encore ce « symbolisme » à tout crin n’était que pléonasme pur et simple (cas du drapeau, déjà un symbole en soi), pas de quoi fouetter Grippeminaud. Mais dans le discours médiatique (jamais dans la bouche du quidam, tiens donc), le mot n’ajoute qu’un lustre fictif à la phrase. Ce faisant, il se vide du sens qu’il arborait fièrement dans, par exemple, « un euro symbolique de dommages et intérêts » (alors là d’accord, là d’accord !).

Journaleux, ne trouvez-vous pas que le virtuel nous grignote déjà par tous les bouts ? Vous l’aurez bien cherché si un de ces quatre matins une délégation de manifestants bien remontés s’invite sous vos fenêtres (accompagnés de khônnards casseurs pour faire bonne figure). On se délecte à l’avance de vos commentaires soulignant l’aspect symbolique de la chose.

Merci de votre attention.