« Regarder dans le rétroviseur »

 

Alors comme ça, le rétroviseur serait au nostalgique ce que la boussole est à l’explorateur ? C’est oublier qu’il sert avant tout à prévenir du danger : on n’y voit que ce qui va se produire.

Mais revenons à la route, moutons.

Inutile de nier (y compris vous, filles du sexe féminin), hors cul venant de passer ou autre événement capital, on ne s’appesantit sur l’arrière que pour anticiper. Coup d’œil intérieur, extérieur, hop ! je double. Notez, khônnards du sexe masculin, que l’envie – légitime – de laisser papy dans le vent ne vous dispense pas de cette précaution, doublée d’un accès dégagé en face. Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, vous finirez en carpaccio de khônnard en croûte d’épave.
Y’en a qui aiment.

 

Rien de tout cela dans « regarder dans le rétroviseur », équivalent de « faire le bilan », voire de radoter pour soi. Exercice menant invariablement à l’apitoiement ou à l’auto-indulgence amusée – stérile dans tous les cas. Et surtout, aucune projection vers l’avant.

D’ailleurs, faites l’expérience : en marche arrière, plus de rétro qui tienne, on se retourne franco pour orienter la manœuvre. Certains en profitent même pour enlacer le siège passager, qui est une technique comme une autre.

 

Ce qui nous conduit à ce paradoxe : le khônnard ayant échappé de justesse à l’accident, s’il « regarde dans le rétroviseur », nourrit-il des regrets ? Ou a-t-il enfin intégré que la vie ne tient qu’à un fil ?

 

Le problème avec les expressions consacrées, c’est qu’elles sont plus khôns que sacrées. Et qu’elles ont la peau dure (la preuve).

Quitte à choisir une image, pourquoi pas « regarder par la lunette arrière » ou « dans l’arrière-cour » ? Parce que seul le rétroviseur permet la superposition des plans. On s’y mire à une époque révolue en même temps qu’au présent.
Et comme l’avenir ne se reflète nulle part, niveau visibilité, on n’aura jamais mieux.

Merci de votre attention.

 

Pas plus tard que

 

Le côté pratique de « pas plus tard que » nous aveugle. En réalité, y’a pas plus tarte, comme expression.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Même lorsque l’événement colle au présent comme un chewing-gum au bitum (ou un chewing-gume au bitume, ce qui est un drôle de goût pour un chewing-gume), « pas plus tard que » fait référence à un laps de temps écoulé :

je l’ai croisé pas plus tard qu’il y a deux jours ;
c’est ce qu’on disait pas plus tard qu’il y a dix minutes.

C’est là que le bât blesse. Remplacez par « pas moins tôt », bande de gros malins.

Devrait-on pas dire

pas plus loin dans le temps que ?

Les Zanglais, eux, ont trouvé la parade :

no more than two days ago.

Quant à nous, qui n’avons pas de mot de la trempe d’ago pour exprimer la distance entre avant-hier et aujourd’hui, on est bien embêté. Tout juste a-t-on pu bricoler « de ça », voire « en arrière » pour les plus imperméables au ridicule :

il y a dix ans en arrière.

Mochissime, isn’t it ? Et superfétatoire : « il y a dix ans » se suffit à lui-même.

 

Le plus étrange là-dedans, c’est de prendre le continuum à rebrousse-poil. Par rapport au présent, tard se situe plutôt dans le futur, non ?

Dans le passé, il n’est relatif qu’à un moment encore plus ancien :

il est venu tard.

Rendez-vous à trente, honoré à cinquante-deux : non, c’est pas du boulot ça.

Ou alors :

il est venu pas plus tard qu’à trente,

ce qui ne laisse pas d’étonner quand on connaît la propension du drôle à poser des lapins.

 

Tiens,
Justement,
Quelle coïncidence !

c’est ce que sous-entend en substance « pas plus tard que ».

Mais pourquoi cette notion de tardif pour exprimer un passé proche, même s’il résonne avec l’actualité brûlante ?

Mettons fin à cette hérésie. Pas plus tard que tout de suite.

Merci de votre attention.

 

La condition du futur

 

Depuis environ Cro-Magnon, futur et conditionnel sont des concepts bien clairs dans nos têtes. On a beau ne pas les confondre intellectuellement, dès qu’on les couche sur papier, ça redevient du pifomètre, comme si 1 et 1 faisaient alternativement 2 ou 11. C’est dire à quel point l’orthographe est en option dans ce pays de débiles.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Futur = ce qui arrivera (c’est sûr).
Conditionnel = ce qui arriverait si (c’est pas sûr).

Les trouble-fête rétorqueront que le futur ne se peut prévoir, et que rien n’est sûr ici-bas et que c’est d’ailleurs tout ce qui fait le sel de la vie. Une attaque de drones dans les glaouis suffira (sûr) à les écarter de la piste.

Comme on ne parle que de soi dans ce pays de blaireaux, l’infamie n’éclate heureusement qu’à la première personne. C’est la conjugaison qui veut ça :

j’aimerai/j’aimerais.

Rien ne les distingue à l’oreille. Mais décalez-vous d’un cran :

tu aimeras/tu aimerais

et ainsi de suite.

Ou alors, complétez par bien :

j’irai/j’irais bien.

Impossible de se planter. D’ailleurs ça ira bien. Qu’il faille en passer par ces petits trucs pour ne plus commettre ces erreurs grossières, c’est à vous dégoûter de ce pays d’incapables.

 

Ayant recouvré leur virilité sur ces entrefaites, les chipoteurs argueront que le doute est parfois légitime :

j’aurai besoin de bras/j’aurais besoin de bras.

Si la grande chaîne de l’évolution vous a hypertrophié la comprenette au point de ne plus sentir le tact du conditionnel, voire du futur ici (car le pauvre a de toute évidence besoin d’aide maintenant), remplacez par le futur proche :

je vais avoir besoin de bras.

Pendant que vous gambergez, l’armoire est déjà en bas. Pays de tire-au-flanc.

Merci de votre attention.

 

« A poings fermés »

 

« Dormir à l’hôtel », « à la belle étoile », « à poings fermés » : on ne roupille jamais aussi bien que dans son lit la troisième proposition. Morphée tout entier tient dans ce à. Omettez-le et l’expression se dégonflera à vue d’œil. Et si on enlevait tout, histoire de se réveiller ?

Mais revenons à saute-mouton, moutons.

« A poings fermés » rendrait compte d’un sommeil optimal depuis la nuit des temps. Excusez, ça reste à prouver.

Sur le fond déjà. Qu’on nous montre l’étude recommandant de pioncer comme ça plutôt que les bras le long du corps, ou démantibulé comme Marty McFly dans Retour vers le futur. Celui-ci écrase si profondément qu’il bat en brèche le coup des poings.

Et sur la forme ? Impossible de fermer l’œil.
Vers quelque dico qu’on se tourne, l’évidence persiste :

Poing : main fermée.

S’il y en a parmi vous qui dorment, boxent ou quoi que ce soit d’autre « à poings ouverts », qu’ils nous fassent signe. Avec lesdits poings, tiens.
Tout juste pourra-t-on ronfler « à poings serrés », signe d’une certaine tension intérieure, prélude à une nuit agitée qui ne contredit pas qu’un peu le sens de la locution.

Par définition, nous ne devrions dormir qu’« à poings », point barre. Seule la confusion possible avec « dormir à poil » nous en empêche.

 

Point de vue pléonasme, « dormir à poings fermés » est donc au coude-à-coude avec « dormir les yeux fermés » ou « les oreilles ouvertes », mes moutons. Car les oreilles ne se ferment point. Partant, tous les bruits continuent à nous parvenir pendant qu’on dort. Voilà un prodige dont on ne prend pas la mesure tous les jours – ni même toutes les nuits.

Certains objecteront qu’il est tout à fait possible de trouver le sommeil billes ouvertes, tel Gandalf dans Le Seigneur des Anneaux.
Mon œil !
En réalité, il ne dort que d’un œil.

Merci de votre attention.

 

Inemploi

 

Indignons-nous aujourd’hui d’un mot qui n’aura cours que demain : inemploi. Comme vous l’aurez découvert ici même avant qu’on ne le mette à toutes les sauces en parlant du chômage, vous pourrez frimer en société tout votre soûl.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On s’étonne que ce petit néologisme se terre encore dans les limbes du politiquement khôrrect et des zéléments de langage, plutôt généreux d’habitude en synonymes à la mords-moi-le-nœud. D’autant plus qu’on lui a préparé le terrain, à l’hideux : employabilité existe d’ores et déjà, son contraire itou. On distingue les actifs des inactifs depuis belle lurette. Quant à nos frères britanniques, ils ne nous ont guère attendu pour déplorer un unemployment endémique.

Il est vrai que de ce côté-ci de la Manche, on est trop occupé à « inverser la courbe du chômage », ce qui nous vaut cette mémorable chronique de l’implacable Etienne Klein (à écouter de toute urgence ou il vous en cuira).

 

La recette est pourtant la même que pour « croissance négative » ou « la baisse de la hausse » dont il semble qu’il faille se réjouir. Dans inemploi, l’important est qu’on entende emploi, comme dans malentendant (bien que les malentendants préfèrent sans doute sourd – mais ils n’y entendent rien).

Allez bricoler un diminutif plaisant là-dessus !

Celui qui se tourne les pouces (un fonctionnaire au hasard) pourra toujours avouer :

Je suis au chômdu

alors qu’il ne geindra jamais :

Je suis en inemp.

C’est bien la preuve que l’inemploi ne touche que les salariés du privé assistés bons français chômeurs et que la solution consiste à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux leur couper les allocs jeter les étrangers à la mer inemployer le mot. De toute urgence.

Merci de votre attention.