L’heure du vote

 

Les jours de scrutin, un sujet entier est consacré aux candidats qui se rendent aux urnes. Quoiqu’on n’en n’ait strictement rien à secouer, on est ainsi informé de l’heure et du lieu exacts où nos futurs représentants ont accompli leur devoir de citoyen. Pour peu que ça passe sur une chaîne publique, avec le pognon de tes impôts, citoyen.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’exercice tourne au martyr lors d’une présidentielle à dix-sept candidats. Du favori au plus obscur, l’équité commande aux journaleux de se paraphraser seize fois. Ne les plaignons pas, ils l’ont bien cherché.

a-vote2

Volons plutôt au secours des candidats. A la sortie de l’isoloir, voilà qu’ils se figent pour la photo, l’enveloppe à moitié brandie, avec un sourire aussi naturel que celui qu’ils arborent sur l’affiche. Sans compter toutes les contraintes préalables qu’on ne voit pas, nous, comme de bien se laver les dents avant.

Quel est l’intérêt de cette mascarade ?

Rappelons qu’il y a toujours deux ou trois péquenauds indécis que l’image séduit. Chaque voix compte, ce serait idiot de se priver de celles-là. Quant aux journaleux, tenus de ne plus causer des élections le jour J, ils trouvent là le moyen rêvé de contourner le problème. Il leur suffit de ressortir le texte de la dernière fois en changeant les heures. Le nom des candidats, pas la peine, ce sont les mêmes (tout comme celui du bureau de vote, généralement situé dans le « fief » desdits).

 

Est-ce le sang de 1789 coulant encore dans nos veines qui entretient ce désir inconscient de voir le souverain soumis au même traitement que le peuple ? Quand bien même il participe à sa propre élection ? Parce que, hein, y’a pas de suspense : les candidats votent toujours pour eux-mêmes, sauf coup de folie. Ils sont d’ailleurs les seuls dont on sache à qui va leur suffrage.

Sans doute pour ça qu’on les filme sous tous les angles au moment du vote.

 

Pour que l’image soit plus représentative, pourquoi ne pas filmer les candidats abstentionnistes plutôt ?

Merci de votre attention.

 

Bastingage

 

Tel camembert, bastingage donne l’impression d’un monolithe traversant les courants contre vents et marées. A ceci près qu’il ne coule pas.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’on s’appuie au bastingage (ou l’on s’y accoude, pour les plus téméraires) pour éviter de passer par-dessus bord. Car nous sommes sur un bateau, au même titre que le pont a son parapet ; en conséquence de quoi gare à vos pompes.

Détail amusant : bastingage-bateau, balustrade-balcon, parapet-pont, rambarde-route. Sans oublier trottoir-tarte, loi-liberté… On peut aller loin comme ça. A condition de n’emmouscailler personne, dites.

bastingage2

Bastingage résulte de bastinguer, sorti des eaux en 1634 : « munir de bastingues »,

bandes d’étoffe ou de toile matelassée ou filets tendus autour du plat-bord d’un vaisseau de guerre pour servir d’abri aux matelots.

Bastingues montées (parce qu’on peut pas vous faire confiance) sur le provençal bastengo, femelle de bastenc, « cordage de sparterie », lui-même tiré du verbe provençal basti, « bâtir », plus particulièrement en « tissant », comme le suggère son aïeul bastir de même sens.
Il est vrai que des formes bâties sur bâtir, on en croise pour ainsi dire à chaque bastide dans la région. Mais même au-delà. Prenez la Bastille, par exemple. On peut pousser jusqu’à Bastia comme ça. A condition de n’emmouscailler personne, dites.

 

Rappelons que du temps où nous n’avions pas encore attaqué les maillages plus costauds du genre bastion ou bâtiment, bastir équivalait à « coudre à grands points ». Il faut en blâmer le bas francique bastjan, « nouer avec des morceaux d’écorce » ou de basta, « fil de chanvre ».
A l’heure où vous lisez cette phrase, l’« écorce » des Pays-Bas se dit encore bast. Sans causer de Bast, le « raphia » teuton.

 

Basta cosi.

Merci de votre attention.

 

Design

 

Etre un nom ne lui suffit pas. En douce, il se fait passer pour épithète. Et encore, soit c’est « très design », soit pas d’un pouce. Le design ne se contente pas d’un bout de la couette.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Aucun design ne fait l’unanimité. Mais c’est de sa faute aussi. Forme, couleur, matière détonnent avec tout puisque l’objet est designé pour révolutionner le concept. Bref, très peu pour nous.
Ce qui n’empêche pas le designer de rester cet être admiré de tous en secret. Alors qu’au fond, il ne fait que dessiner.
On dit ça à dessein, évidemment.

 

Revenons en Anglaisie dans les années 1580. Le terme design y est tout désigné pour désigner ce que nous appelons alors desseing : « but, projet ». Depuis, on lui a égalisé les pointes, sauf dans blanc-seing qui porte encore la signature du latin (de)signare : « marquer ».

Signe qu’il y a tout intérêt à « suivre » le mouvement, comme l’indique l’indo-européen sekw-no- construit sur sekw-, dont a gardé pas mal de séquelles.

 

Et quel rapport avec dessin ? C’est le même mot. Depuis, on lui a fait les sourcils, mais pas plus tard qu’en 1529, un desseing est une « représentation graphique » frangine du pourtraict. Il a beau virer desing vingt ans plus tard, c’est toujours le digne déverbal de desseigner.
Longtemps gommée, la distinction dessein/dessin n’est actée qu’au début du XVIIIe siècle.

design2

Certains tenteront, avec un succès relatif, de nous fourguer stylique à la place de design. Outre que le mot n’est pas très design, ses spécialistes sont des stylistes, que l’on confondra aussitôt avec les créateurs de mode.
L’autre inconvénient, c’est que la rivalité ne repose sur que dalle : ce sont de vieux amis. Style = stilus = poinçon.
D’où stylo, pas besoin de vous faire un dessin.

Merci de votre attention.

 

Mode dix-neuf-cents

 

Aussi casse-bonbon que le café deux fois sucré, la tondeuse du dimanche matin et le sachet qui lâche réunis : la date frappée du sceau de son siècle.
Mode vouée à disparaître dans les oubliettes de l’Histoire ? Accélérons le processus. Refaisons dix-sept-cent-quatre-vingt-neuf.

Mais d’abord, revenons à nos moutons, moutons.

De 100 à 900, on ne peut pas faire autrement. A partir de l’an Mil, d’aucuns, que la vieille terreur millénariste chipote encore (le nom savant de cette phobie, quelqu’un ?), gardent leur boulier des centaines. Et n’en démordent plus : onze-cents, douze-cents
Ben-voyons-mon-cochon.
Et pas la peine d’évoquer pour leur défense la Simca Onze-cents (ce vieux tas de tôle), digne héritière de la Simca Mille (ce vieux tas de tôle mais plus).

Coquetterie ? Caprice, oui !
Le truc ne s’applique en effet qu’au premier millénaire. Boâh, on peut à la rigueur trouver à quinze-cent-quinze-Marignan des charmes mnémotechniques. Ce sont bien les seuls. Depuis que l’an 2000 a déboulé, on en connaît qui se retrouvent bien enquiquinés. Pour l’instant, on ne s’en rend pas trop compte mais enfoncez-vous bien dans le crâne que dans cent ans, pour les historiens, nous serons en vingt-et-un-cent-quatorze.

 

D’ailleurs, enquérez-vous de leur date de naissance, à ces puits de science. Stratagème exactement inverse : l’élision des deux premiers chiffres. Et hop ! gommé, le poids des ans.

Je suis de 37.
Mais mon confrère est de 36, comme le Front Pop !

vous balancent-ils d’un air entendu. Et c’est reparti comme en 40.

Voyez la lâcheté du nistorien ? Certes, l’affaire fonctionne en cas de relative contemporanéité (aujourd’hui, on cause bien). Nous tous ou presque avons un pied dans le XXe siècle. Il ne viendrait à l’idée de personne de préciser quelles « années 60 ».
Ça passe encore de justesse pour le siècle précédent (« la guerre de 70 »).
Mais revenus au XVIIIe, il faut un événement particulièrement marquant, ou la rambarde d’un contexte, pour synchroniser nos montres. Rôbintiens : 89, justement. La Révolution ? Ou son bicentenaire ? Sachant qu’en sus, 1989 fut un millésime exceptionnel sur le plan historique, on n’est pas aidé.

 

Que les spécialistes (et même les non-spécialistes) raisonnent à l’échelle du siècle pour des raisons pratiques, très bien. Mais de grâce, basta avec ces lubies numérales.

Merci de votre attention.