Dévisager

 

Tout bien considéré, on est en droit de dévisager dévisager. Non que le verbe soit patibulaire : il est surtout fuyant.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Et appelons Robert à la rescousse. Robeeeeeeeeeeert ?

Dévisager : regarder quelqu’un avec insistance.

Eu égard à son préfixe, on aurait plutôt cru l’inverse :

ne pas regarder dans les yeux,

soit

détourner le regard.

Mais les faits sont là : dévisager Tartempion, c’est lui tailler le faciès.

Et deux tourtereaux qui se font face ? Se dévisagent-ils mutuellement ? Allons bon. Ils se vorent des yeux, oui.

 

Sans compter qu’hors shrapnel, il nous arrive d’oublier le deuxième sens de dévisager :

défigurer.

Vous visualisez l’image de la chair qui part en lambeaux ? Venez soutenir après ça que dé- n’est pas privatif.

 

Les fines bouches (qui n’ont pas fait la guerre) diront qu’on retrouve le côté insistant de dévisager dans dépeindre. Sauf que dépeindre coexiste avec peindre. Or, point de « visager » connu à l’horizon ; tout juste des visagistes (pas en reste question peinture).

 

Là oùsque ça devient cocasse, c’est qu’il fut un temps où envisager avait le sens de dévisager :

regarder quelqu’un au visage.

On n’envisagerait plus cet usage de nos jours.

L’homme invisible serait-il donc le seul qu’on ne puisse pas dévisager ? Ce serait trop simple. Revenons à la définition du pote Robert :

regarder quelqu’un avec insistance.

Il n’est même pas question de visage. C’est officiel : lorgner d’autres parties de l’anatomie est un sport national.

Merci de votre attention.

 

Merci

 

Levons d’emblée un vieux malentendu : lorsque Roy Orbison lance d’autorité son « mercy » en plein Pretty Woman, il n’est nullement en train de nous remercier (vu qu’il lui reste une bonne minute de riff). C’est la pitié, ou la grâce de Julia Roberts, qu’il réclame (tellement elle est bien roulée elle en a pour deux).

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Vous pouvez déjà dire merci pour ce préambule qui vous sauve d’une longue et rébarbative étymo. Car à force d’user notre salive en politesses, nous en oublions le genre féminin de merci, à l’origine synonyme de miséricorde – que les Zanglais sans mercy nous pillèrent as usual. Etre « à la merci » (ou « at the mercy ») de quelqu’un, c’est être sous sa coupe : un pet de travers et c’en est fini de nous.
« Mercit » apparaît dans ce sens en 881 (repérez bien ce t). Quelques décennies plus tard, on s’adresse « granz merciz » pour exprimer cette fois sa gratitude (repérez bien ce z).

D’où merci a-t-il (elle) dérivé ?

Du latin mercedem (t, z, c’est papa qu’est là !), accusatif de merces, « salaire, solde, récompense, intérêt » puis « prix, faveur, grâce accordée à quelqu’un ». Et bientôt – la nature humaine étant ce qu’elle est – « prix d’un service illégitime ou honteux ». Et pan ! Les mercenaires rappliquent. Sans oublier marché, commerce et tout le bataclan (merx, mercis : « marchandise »). On connaît la suite : Mercure, dieu des affaires, mercredi, premier jour des soldes. Et Merckx vainqueur du grand prix de la montagne.

Sans oublier le verbe merere, « gagner un salaire ». De là à le mériter, hein… Les linguistes les plus acharnés y voient le radical indo-européen (s)mer-, « se souvenir, se soucier de ». Lequel, en se superposant à lui-même (car il est très souple), donne memor… D’ailleurs, celui qui « remembers » un cher défunt le « pleure » (to mourn, passé par notre morne à nous du temps que ça voulait dire « abattu »).
On peut aller loin, comme ça !

Afin donc d’éviter de tout se retaper à pied, Marie pleine de grâce se propose de raccompagner tout le monde en Mercedes.

Merci de votre attention.