Comment dépenser l’argent qu’on n’a pas ?

 

C’est déjà chiant d’être pauvre, si en plus il faut se priver !

Postulat qui dut trotter dans l’esprit du premier banquier. Notez qu’avant son invention, il était rigoureusement impossible de dépenser du pognon que vous n’aviez pas.

C’est pourquoi le bougre a procédé par étapes. D’abord, le découvert autorisé. A l’instar de la jauge d’essence permettant de « rouler sur la réserve » en dépit des voyants qui font ding-ding, vous pouvez vous mettre dans le rouge en cas de nécessité. C’est « autorisé ».

D’ailleurs,

quand y’en a plus, y’en a encore.

Sagesse populaire là encore inattaquable.

 

Ensuite, le crédit. Endettez-vous, la banque se charge de découper le magot en tranches suffisamment fines pour se servir au passage. Le taux d’intérêt, ça s’appelle. Il faut bien que monsieur le banquier vive. Et dépense à son tour du blé virtuel.

Les esprits forts rétorqueront que sans ça, vous n’auriez pas de voiture, ni de toit, ni de quoi retaper la voiture, ni le toit. Sans parler du petit dernier qui retape sa sixième.

Bref, vous vivez au-dessus de vos moyens. Ne les perdez pas pour autant.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en emprunteur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Jouez au Loto. Vous passerez le restant de vos jours à dépenser votre argent en tentant votre chance dans le fol espoir d’en dépenser plus encore – au risque de dépressions sévères. Mettons que vous gagniez : vous passerez le restant de vos jours non pas à dépenser votre argent mais à ne plus savoir qu’en foutre – au risque de dépressions sévères.

 

♦  Allez-y franchement et prenez des crédits sur tout. Rien ne sera jamais à vous mais bah, tant qu’on a la santé.

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♦  Lancez-vous dans la fausse monnaie.

 

♦  Rachetez la banque. Pognon frais garanti tous les mois.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Corroborer

 

Certains tiennent corroborer pour un synonyme chicos de confirmer. Les vivisecteurs du dimanche, eux, y repéreront –roborer. Même radical que dans roboratif ? Ça mérite confirmation.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme il n’est pas plus tarte adjectif que roboratif, censé nous réconcilier avec l’art tandis qu’il nous fâche avec la langue, on perd de vue sa fonction « revigorante ». De même, cor-roborer = « fortifier, tonifier », selon l’acception médicale jadis en vigueur.

 

A y regarder de plus près, c’est la racine du chêne latin robur qu’on vient de déterrer là. D’où le méconnu rouvre (ce « chêne à feuilles caduques », les habitants de Rouvray seront ravris) et le familier robuste. Quant au verbe du jour, pas étonnant qu’il équivale à « renforcer » au sens propre depuis 1389.

 

Et c’est loin d’être fini.

Pourquoi les Latins – tout sauf des glands – nommaient-ils leur arbre robur ? Parce que son bois tirait sur le ruber, tiens. Pas de quoi attraper la rubéole, ni titrer à l’« ocre rouge » pour en faire une rubrique.

Un rubis, cette étymo.

 

Par ailleurs, il se trouve que le rouge est la seule couleur dont l’aïeul indo-européen reudh- rougeoie dans toutes les langues.
Roboratif, non ?

Merci de votre attention.

 

Timide

 

On ne naît pas timide, on le devient

disait le grand Professeur Stutz. S’il avait toutefois existé, il aurait pu ajouter qu’une vie entière ne suffit point à se défaire de sa timidité. Certains la soignent en montant sur les planches, d’autres en se forçant à ne pas s’effacer systématiquement devant le piéton d’en face. Sauf s’il s’agit d’un boulet ou d’un fauteur de troubles avéré, auquel cas le changement de trottoir reste la seule alternative.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ce petit t, ce d discret, ce m lové dans sa coquille et son duo de i pusillanimes ne jouent pas, il faut bien le dire, en la faveur de timide. On jurerait le costume taillé sur mesure, dans la même étoffe d’ailleurs que celui de timoré, ce que confirme toute une panoplie latine (timefactus, « effrayé », timescere, « s’effrayer », timendus, « redoutable », timiditas, « timidité », timide, « timidement », timidule, « un peu timidement » [alias « très timidement »], timor, « crainte, appréhension »), le tout tiré du verbe timere, « craindre ».

Par chez nous, le timide de 1528 (« d’un naturel craintif, facilement effrayé ») aggrave son cas en 1654 : « qui manque d’audace, de vigueur, qui est incapable de prendre des décisions énergiques » (→ chiffe molle). Bientôt, la timidité « se dit du manque de hardiesse dans les ouvrages de l’esprit » sous la plume de Boileau. Et sous celle du contemporain Molière, l’adjectif se fige dans son sens courant : « qui manque d’aisance et d’assurance dans ses rapports avec autrui ».

En vérité je vous le dis : la timidité, c’est rien que des complexes mal placés.

A la lueur de l’étymo revient en tout cas l’idée de « ne pas oser ». D’où la confusion fréquente avec les gens réservés – qui sont en réalité de faux timides (→ n’en penser pas moins).

 

Sur la base de l’indo-européen commun tem-, certains n’hésitent pas à rapprocher notre timide de temetum (« vin pur »), ayant engendré temulentus (« hébété, saoul ») et son contraire abstemius limpide comme la flotte.

Faut pas s’étonner que le rouge nous monte aux joues et qu’on se retrouve à bafouiller pour un oui pour un non en faisant des écarts dans la rue.

Merci de votre attention.