« Déchirer sa race »

 

Il n’est pas rare que le pékin moyen partage son enthousiasme en ces termes :

ça déchire sa race.

A condition de réellement kiffer sa race, sans quoi « ça déchire » suffit amplement.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Deux notions plus absurdes l’une que l’autre, juxtaposées pour défier toute vraisemblance : « déchirer sa race » est un tour de force.

 

Péter, tout arracher et s’éclater avaient précédé déchirer au rayon forte impression, section déformation.

Mais le verbe était en dessous de la vérité. On lui a donc adjoint le concept de race qui, si l’on ne zigouillait encore en son nom, mériterait de souiller la culotte de son voisin de couleur.

Et là, on parle uniquement d’êtres humains.

Car « déchirer sa race » ne s’emploie que pour des objets ou des œuvres. A quelle race ceux-ci peuvent-ils bien appartenir ?

 

Foin de dithyrambes, nous revient en mémoire le fielleux

va niquer ta race,

sous-entendu

tous ceux de ta race.

Dans l’expression du jour au contraire, l’objet admiré ne peut « déchirer sa race » que dans sa globalité. Vous pouvez commencer à vous représenter mentalement une « race déchirée ». La journée ne sera pas de trop.

 

Faut-il y voir une variante de l’omniprésente figure maternelle (« la vie/tête de ma mère ») ?

Moins rugueux que

va niquer ta mère,

« va niquer ta race » diluerait le lien de parenté juste ce qu’il faut. Idem pour

ça déchire sa mère,

qu’hors césarienne on ne recommande pas plus que ça.

 

Ce désir infantile que tout le monde éprouve la même chose que nous explique nos jugements de valeur excessifs. Ainsi surjoués, ils donneraient plutôt envie d’écarteler le genre humain.

Merci de votre attention.

 

Clivant

 

Est-ce le Gaulois qui sommeille en nous, cet être querelleur, toujours prompt à s’entredéchirer, qui nous pousse vers le clivant ? Rares sont les sujets qui échappent désormais à ce maso qualificatif. Meuh qu’est-ce que c’est que cette société où le clivant est roi ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si je ne m’abuse, est clivant ce qui divise, right ? Au XVIe siècle déjà, nous copiâmes cliver (« fendre ») sur le néerlandais klieven de même sens.

Or, rendons-nous à l’évidence, le concept d’unanimité n’existe plus que dans l’esprit tordu des dictateurs bananiers au régime de terreur.
En partant du pincipe qu’il y aura toujours des pour et des contre, à propos de tout et dans quelque proportion que ce soit, « sujet clivant » est un pléonasme douze carats comme on les aime.

Cette division, votre sens de l’équité, conforté par un imaginaire bipolaire qui va du yin et du yang au jour et la nuit en passant par la gauche et la droite, vous la fait concevoir à parts égales. Clivant, oui, mais au milieu. Qu’une majorité se dégage, c’en est fini du clivage. Et qui dit clivage dit irréconciliable, ce qui promet de se foutre sur la gueule pour longtemps.
Enervant, le clivant.

 

Avez-vous remarqué au passage son discret parfum de néologisme ? Dans le sillage du verbe (cliver) et du nom (clivage), clivant se fait fort de combler un manque, à la manière de son cousin inspirant qui passe la tête avec insistance (les Angliches ayant leur inspiring depuis Lord knows when).

 

Sans compter que l’épithète se la pète. Non seulement, on l’a vu, par son côté précccccciiiiieuuuux, mais aussi parce que le sujet qu’elle qualifie est automatiquement bombardé important. Untel décrète que

c’est un sujet clivant,

on doit l’entendre au sens de « qui nous concerne tous » ou se taire à jamais (v. aussi comment naissent les débats). Alors que la plupart du temps, seul un microcosme joue à s’écharper. Pendant que vous et moi gardons notre opinion pour nous, merci – si tant est que nous en ayons une sur le sujet.

 

On pourra toujours compter sur un gus assez inspiré pour se fendre d’une intervention propre à « dépassionner le débat ».

Merci de votre attention.