« Sur ses deux oreilles »

 

Dans notre série « expressions à dormir debout », soyez sûrs qu’on n’ira pas se coucher avant d’avoir réglé cette histoire de « deux oreilles ».

Mais revenons à nos moutons, moutons.

De bonne foi, un tiers trouve toujours le moyen de lancer, pour vous tranquilliser :

vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.

La bienveillance l’égare.

Retournez le problème dans tous les sens : la proéminence de votre occiput exclut formellement cette hypothèse. Comme ça faisait un bon moment qu’on n’avait pas casé occiput, allons-y gaiement : il faudrait déjà que la partie occipitale repose plus bas que le niveau de vos oreilles, dans une cavité aménagée tout exprès, pour leur permettre de toucher le lit simultanément. Même le plus douillet des oreillers ne rendrait pas l’expérience plus probante.

A supposer même qu’on vous retire le cerveau (seule raison d’être de l’occiput, quand on réfléchit), ce qui vous resterait de tête ne reposerait que sur une toute petite partie de vos lobes. Position extrêmement inconfortable, surtout une nuit entière.

occiput

Et encore, ça n’est valable qu’en pionçant sur le dos. Mais le véritable sommeil du juste ne se pratique-t-il pas sur le ventre ou le flanc ? Dans les deux cas, vous ne dormez que sur une oreille.

 

Et puis c’est pénible cet occipitocentrisme à la fin. C’est vrai, pourquoi un mâle ne pourrait-il pas « dormir sur ses deux glaouis » et sa congénère « sur ses deux nibards » ? Ou l’inverse, pour varier les plaisirs ?
La nuit n’en serait pas plus courte et au moins, c’est matériellement possible.

Merci de votre attention.

 

Ensevelir

 

Jamais personne ne se penche sur le berceau d’ensevelir. Peut-on passer à côté d’un verbe aussi majestueux toute sa vie jusqu’à ce qu’on nous ensevelisse ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si la charge sémantique du drôle peut impressionner, ensevelir signifie surtout « enterrer » pour cacher. Une appréhension soudaine vous taraude : « enterrer », c’est toujours pour cacher, eh. Sans ça, les clebs du coin se feraient gauler leur os à tout bout de champ, sans parler des cadavres qui joncheraient les rues. Car dès qu’on n’enterre pas, ça jonche, automatiquement.
(Cette digression pour le seul plaisir de caser joncher, autre vocable altier s’il en est).

Mais rerevenons à nos moutons, moutons, moutons, moutons.

A ce stade, on subodore qu’en-sevelir, c’est peu ou prou recouvrir d’un « sevel » dont la sonorité même évoque le « linceul » prévu à cet effet.

D’ailleurs on repère notre homme vers 1130-40 sous la forme sevelir. Avec les précautions d’usage, nous le déterrâmes du latin sepelire (« inhumer, faire disparaître ») en changeant le p en v comme pour cheveu, avril, ouvrir et – on n’en sort pas – couvrir.

 

Pt-pt, on progresse. Sepelire → sépulture ?
Bingo : sepultus, participe passé, nous ramène tout droit au cimetière.
Et justement, en observant koimêtêrion (« dortoir » chez les Grecs antiques), d’aucuns jugent que « dormir » serait le sens premier de sepelire, le faisant découler ni plus ni moins de sopire (soporifique, assoupi…).

 

Ainsi, ensevelir revient littéralement à plonger dans le sommeil.
Aux ceusses qui s’en acquittent, et pour ne pas faire de jaloux, témoignons la même gratitude qu’aux employés du crématorium grâce auxquels nous retournons en poussière.

Merci de votre attention.