Dans quelle langue faut-il vous le dire ?

 

On a beau vous les passer au mégaphone, certaines consignes restent lettre morte. Sans raison particulière puisqu’elles sont formulées dans votre langue. Or, depuis vos chères études, aucune langue – maternelle incluse – ne trouve grâce à vos yeux. N’espérez pas de miracles en mandarin ou en bantou quand vous gâchez déjà les bijoux de famille.

 

En sus d’une forte tête, vous êtes donc une vraie bille. Du reste, ceux qui vous sollicitent n’en mèneraient pas tellement plus large en changeant d’idiome. Leurs rudiments de baragouin ne déclencheraient même pas l’indulgence des populations autochtones.

français

De votre côté, il ne vous reste plus qu’à simuler la bonne volonté, histoire qu’on puisse vous confier des trucs sans avoir l’impression de se soulager dans un stradivarius.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en métropolitain civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Ça ne veut pas rentrer par les oreilles ? Qu’on vous laisse des messages écrits ou dessinés, sans lésiner sur le Stabilo.

 

♦  Sans doute ne bitez-vous jamais un broc du fait que vous n’êtes pas né(e) à la bonne époque. Exigez qu’on s’adresse à vous en ancien françois ou mieux, en français du futur. Rigolade garantie.

 

♦  A la fois poétique et universel, le langage des signes vous permettra de communiquer en tous points du             avec n’importe quel                de votre trempe.

 

♦  Vous avez perdu tous vos points du permis de causer ? Rien de tel qu’un stage de remise à niveau pour réviser dans la bonne humeur l’orthographe du mot mégaphone.

 

♦  Si vous braillez plus fort que celui-ci, tout s’explique : vous êtes encore en âge de téter. Profitez-en bien pour n’en faire qu’à votre tête.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Ecouter

 

Le fossé qui sépare voir de regarder, respirer de sentir, ingurgiter de manger et entendre d’écouter se remblaie tout seul pour toucher. Hein ! Qu’on le veuille ou non, quand ça touche, ça touche.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Faites l’expérience avec un sourd, vous constaterez que lui aussi écoute ce qu’on lui dit : pas d’autre manière de décrire son attention. C’est dire la puissance du verbe.

 

D’eskolter (IXe siècle) à escouter (XVIe), les versions de lancement situent l’engin dans l’écurie latine. En Italie, on conjugue ascoltare en ce moment même.
Au vu du profil bien reconnaissable de ce dernier, justement, écouter ne serait-il pas le frère caché d’ausculter ?

Vous venez de rafler le gros lot.

A l’origine du verbe rital, ascultare (latin populaire) provient du plus classique auscultare, « écouter avec attention » mais aussi « ajouter foi, obéir ».
Notons au passage quel magnifique pléonasme « écouter avec attention » ferait en pendentif. On s’était pourtant entendu là-dessus dès l’intro (mais vous n’écoutiez pas) : [écouter] – [attention] = entendre.
Observons par la même occase qu’il ne peut y avoir « obéissance » qu’en cas d’écoute préalable. A méditer, parents.

Mais auscultare, d’où vient-il ? Tendez bien l’oreille, littéralement de « tendre l’oreille » : aus-, condensé d’auris (« oreille »), –cultare né du radical indo-européen kel (« incliner »).

 

Ecouter/ausculter, les toubibs ont donc vocation à écouter deux fois leurs patients. S’ils y mettaient un bon coup la première fois, on ne serait pas obligé d’en passer par la phase stéthoscope gelé. Et toc.

Merci de votre écoute.

 

Paria

 

Certains mots sont rarement de sortie. Soit qu’ils se prêtent peu à la conversation courante (naphtaline), soit que leur sens nous échappe, au moins en partie (baroud), le plus souvent les deux (tégument). Ceux-là font quasiment figure de parias.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Mis à part le fait qu’un paria soit mis à part, on ne sait trop à quelle sauce linguistique le manger. Certes, sa finale le place délibérément dans la caste des fâcheux, où s’illustrent déjà charia et malaria. Mais c’est sous un horizon plus lointain qu’on le trouve au naturel. Celui des Indes plus précisément, où le paria (ou « intouchable ») est considéré comme impur pour cause de non-appartenance à une caste. Un cochon d’Inde, en somme.

 

Pareaz est déjà attesté dans ce sens en 1575, devenant paria un petit siècle plus tard pour glisser au XIXe siècle vers le sens figuré : « personne méprisée, écartée d’un groupe ou exclue de la société ».

Il provient, via le portugais paria, du tamoul parai, « gros tambour » utilisé pour festoyer. Autant dire qu’au poste peu enviable de parayan (« joueur de tambour »), question sociabilité, on touche le fond : personne ne s’approche sous peine de finir sourdingue.
Par ailleurs, ces Paraiyar (au pluriel) forment une caste peu recommandable, bien distincte de celle des Konar (sic), passés maîtres dans l’élevage des bêtes à cornes chez les anciens tamouls, mes moutons.

 

Comme à la parade, cette étymo ? Croyez pas si bien dire. Figurez-vous que notre verbe parer froufroute sur l’indo-européen par-a-, forgé sur le radical pere-, « enfanter, produire, mettre en avant » (→ parturiente et parent !).

 

Tout ceci nous rappelle combien la vie est sacrée. Aussi, mes bien chers frères, soyons pas vaches, tendons la main à chaque laissé-pour-compte au cri de :

Ave paria.

Merci de votre attention.

 

Absurde

 

Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs.

Quiconque pratique l’absurde à plus ou moins haute dose pourra faire sienne cette devise du poète.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Admettez qu’en gros, le sens d’absurde est « qui n’a pas de sens » – ce qui donne d’emblée la dimension du personnage. Celui-ci entre en scène dès le XIVe siècle, encore grimé en absorbe, absorde ou absourde. De quoi rester quelque peu abasourdi.
D’autant que les Français d’alors n’avaient pas franchement besoin de chercher midi deux heures plus tard : les Latins employaient déjà absurdus au sens de « discordant ».

En bons étymologues du dimanche, vous vous dites : ab- privatif, surdus vaguement lié à l’idée de « sens ». Z’oubliez à qui vous avez affaire. Joignez pas l’aveuglement à la surdité s’il-vous-plaît.
En réalité, le préfixe est là pour renforcer surdus (« sourd »), exprimant l’incongruité à son paroxysme (ou à son point d’ab-outissement, c’est kif-kif).

Et figurez-vous que surdus, qu’on croyait connaître sur le bout des doigts, n’est autre que le participe passé trafiqué de notre susurrer ! Qui lui-même est un doublement du vieux radical indo-européen swer-, salement imitatif (chuchotez deux secondes, d’où que vous soyez, c’est « swer-swer » qui vous viendra, c’est comme ça). Rien à voir avec les siamois swer- au passage allons allons, soyons sérieux.

 

Autrement dit, absurde est un gros murmure.
Comme son nom l’indique.

Merci de votre attention.