Jouer le jeu

 

Les acteurs passent leur temps à jouer. Les spectateurs ne peuvent que les regarder faire. Il est donc grand temps d’agir.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Théoriquement, n’est acteur que celui qui agit. S’extasier devant son jeu, c’est être à côté de la plaque. Plus on voit qu’il joue, moins bon est l’acteur. Observez un vincentlindon, une isabellecarré ou un depardieu hors d’âge : ils ne jouent plus, ils sont. A la rigueur, ils incarnent leur personnage. Mais « César de la meilleure incarnation », ç’aurait fait ectoplasme. Acteur est plus parlant, y compris dans le muet, où l’on surjoue à qui mieux mieux.

 

Au moins, dans les autres arts, le verbe colle à son sujet sans chichis. Les sculpteurs sculptent, les peintres peignent et les écrits vains. Musiciens ? Comme les acteurs : toujours partants pour jouer. Jamais pour « musiquer », vous pensez bien.

 

On n’est pourtant pas fou : l’acteur sur les planches enchaîne bien les actes. Chose totalement assumée dans la langue de Shakespeare : to act, voilà en quoi consiste le métier d’actor. La « pièce » dans laquelle il joue prend cependant le nom de play. Dont acte.

Et dire qu’on demande à certains acteurs de « jouer leur propre rôle ». Il y a de quoi devenir schizo, pardon.

Les théoriciens de la distanciation se la joueraient moins s’ils enseignaient comment agir. Plus tripal, non ?

 

Pourquoi zalors nous cassâmes-nous la nénette à former le mot acteur ? Sans doute par opposition à spectateur, lequel se contente d’être au spectacle. De là à dire qu’il « specte », un peu de respect.

 

Quant au terme générique de comédien, c’est une tragédie. Qu’il s’agisse de comédie ou de tragédie, on s’accorde à dire qu’il « joue la comédie ». N’entrons pas dans ce jeu-là.

Merci de votre attention.

 

Comment courir le 100 mètres en moins de 6,2 secondes ?

 

Vous ne ferez jamais partie du club de ceux qui descendent sous les 10 secondes au 100 mètres. Que vous croyez. Car contrairement à une idée reçue, le commun des mortels peut très bien reléguer les performances des Bolt, Lewis et consorts au rang de raids poussifs. A condition de s’en donner les moyens.

Pour mémoire, vos adversaires s’élancent pour du beurre, seulement motivés par la perspective de surfanfaronner et de faire saillir biscottos et mâchoires devant les petits copains.

Mais quand on y pense, 9’’86, 9’’77, 9’’58… des records, ça ? Peuh, trois fois peuh.

100 mètres ne représentent jamais que 0,1 kilomètre. Faudrait voir à descendre de votre piédestal, les mecs – et au trot.

Avec un brin d’audace, vous ne ferez qu’une bouchée de ces mémères.
Oui, il y a moyen d’enrhumer tous ces tocards.
Largement à votre portée, les limaces.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en tailleur de route civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  On l’oublie trop souvent, pour donner des ailes aux sprinters, rien de tel qu’un vent favorable, pouvant aller jusqu’à 2 m/s. Installez donc dans votre dos une soufflerie verticale invisible du type de celles qui décoiffent les zacteurs au cinéma et laissez-vous porter. Plus onéreux mais également concluant, sur la ligne d’arrivée, braquez-en sept sur les autres concurrents, qui se débattront encore contre les éléments déchaînés tandis que vous finirez votre tour d’honneur.

 

♦  Dans le même esprit, branchez un aspirateur géant face à vous, dont la force centripète vous propulsera de l’autre côté sans même que vous touchiez terre. Attention, veillez à ce que l’engin s’éteigne avant que vous vous y engouffriez à plus de 60 km/h dans un bruit de succion douteux et d’articulations brisées.

 

♦  Sans aucun entraînement, un simple « A table ! » hélé depuis la ligne (ou la présence de l’être aimé ruisselant de désir dans son plus simple appareil) suffira à tuer la course, surtout s’il y a de la crème fouettée au dessert.

 

♦  Allez-y à dos de Bip-Bip ou de Speedy Gonzales ; les poursuivants ne vous reverront plus.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Trac

 

Avec les lasagnes surprise et le trouble amoureux (qu’il colle de près), le trac est sans doute l’émotion la plus costaude qui soit. Penchons-nous là-dessus tout à trac.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le traître surgit toujours à la faveur d’une prestation, où nous nous devons de briller sans montrer qu’on n’en mène pas large. Et n’allez pas croire qu’on s’y habitue : au théâtre, même les meilleurs sont traqueux tous les soirs. Alors un peu de respect, s’il-vous-plaît.

 

Vu l’universalité de la chose, le mot est fort récent (1830, auparavant, on n’était pas des mauviettes). Il se présente alors sous la forme traque, dans laquelle certains repèrent le radical trak exprimant le sursaut. D’autres y voient l’influence d’un patois hindou proche du sanskrit trasa-, « frayeur, terreur, angoisse ».

Mais traque ne viendrait-il point plus simplement de traquer ? Pis que ça, le verbe lui-même dérive du moyen français trac, « allure, piste, trace ». D’où le traquenard destiné à effrayer son monde, à l’origine « trot défectueux du chwal ». Quant à l’objet détraqué, il est littéralement « sorti de sa marche » ; il s’agit donc de le retraquer s’en séparer au plus vite.

 

D’ailleurs, en parlant de « piste » et de « trace », les Anglois ont aussi leur track. A rapprocher du néerlandais trekken, « marcher », ainsi que du vieux teuton trechan, « tirer ». Lesquels, avant l’invention du trekking, ont rebondi sur le latin trahere pour nous offrir traction, tract et remplacer les bêtes de trait par des tracteurs. Sans oublier – on y revient – attraction et attrait. Tout ce qui « tire » et « attire », en somme.

 

D’ailleurs c’est pas la peine de baliser. Car comment dit-on trac en anglois ? Nerves. Au pluriel, le même mot que pour « culot ».
Savez ce qui vous reste à faire.

Thanks for your attention.