Plus belle écriture

 

Plus on écrit, moins on écrit. Avant de crier au paradoxe, montez donc au grenier (ou descendez à la cave, enfin décidez-vous) et dépoussiérez vos cahiers d’école. Même maladroite, votre écriture était alors au faîte de sa gloire. Depuis, elle tient du cochon, du sagouin et du toubib altogether.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Les faits sont là : sorti du préau, on n’a plus jamais l’occasion de s’appliquer sur le papier. Après des années de calligraphie acharnée, la suite de notre existence n’est consacrée qu’à griffonner. Un peu comme si nous roulions comme des khôns sitôt le permis en poche.

Hautement improbable, comme chacun sait.

 

Qui se fend encore de missives manuscrites, hormis pour les curriculums (sinon, ça fait mauvais genre) ?

Vous réglez par chèque à la caisse ? La machine le remplit pour vous.

Quant aux relations épistolaires, elles ne se nouent qu’au clavier, qui d’ordi, qui de téléphone, celui-ci finissant tout poisseux sous vos tapotis enamourés.

Même ceusses qui font profession d’écrire se privent du plaisir de raturer. Et ne s’épanchent qu’à travers une police de caractères créée par un sombre inconnu.

Il n’y a guère que le nom et l’adresse sur l’enveloppe qui permettent encore d’apprécier les pleins et les déliés – à condition qu’expéditeur et destinataire n’aient pas recours à des étiquettes imprimées.

Y’a pas, nous sommes tous otages de l’écran. A commencer par l’auteur de ces lignes, rédigées à la sueur de son front mais pas à celle du poignet (ce qui n’enlève rien à ce blog époustouflant par ailleurs).

Car du Post-It à la liste des victuailles, tout est saisi à la volée. « Ecrire de sa plus belle écriture » n’est plus qu’un lointain souvenir. De même que l’écriture tout court, sacrifiée sur l’autel de la vitesse. Et la technologie (époustouflante par ailleurs) de donner le coup de grâce.

 

Retrouvons le goût de noircir des pages, ne serait-ce que pour sauver les graphologues d’une disparition certaine. Déjà qu’ils n’ont jamais été foutus de nous révéler l’identité du corbeau.

Merci de votre attention.

 

Comment sauver votre stylo fétiche du kidnapping ?

 

La tchatche s’envole, les écrits restent : votre fidèle stylo est le plus court chemin entre votre âme et la postérité. Neuf chances sur dix pour que pendant votre absence, on viole votre papeterie intime. Et à votre retour, c’est le vide que happe votre main au moment de vouloir s’en saisir. Malgré une enquête de voisinage menée tambour battant et le couteau entre les dents, personne n’a rien vu, rien entendu. Tous complices, c’est pas possible.

Aucune explication rationnelle : la malédiction du stylo qu’est pus là a encore frappé.

 

Une fois calmées vos velléités vengeresses, reste à savoir ce qui peut bien traverser le crâne du kleptomane qui, dix fois dans les parages, vous dépossèdera dix fois. Tôt ou tard, celui-ci a la claire conscience d’avoir commis l’irréparable ; que ne vous le rend-il dans un torrent d’excuses ?

Soit ce type de zigs croit que ce qu’il empoigne est à lui et l’embarque sans demander la permission ni son reste. Soit il jalouse votre style. Qu’espère-t-il donc en s’emparant du pinceau de Picasso ? Le mystère demeure.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en dépouillé civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Mordillez constamment le bout, à l’ancienne. Vous aurez la langue d’un schtroumpf mais plus personne n’y posera ses sales pattes.

 

♦  Vous rabattre sur un stylo de seconde zone ? Seconde victoire pour le voleur ! Tapez plutôt au clavier, jusqu’aux plus minimes griffonnages. La manip nécessite d’imprimer pour un oui pour un non ? Ce que la planète y perdra, votre orgueil y gagnera.

 

♦  A l’instar des valises de la Brink’s maculant les biftons lorsqu’un braqueur actionne le système, piégez votre stylo pour que toute l’encre éclabousse à la gueule du pickpocket.

 

♦  Puisque vous vous taillez les veines à chaque disparition, n’écrivez plus qu’avec le sang qui en pisse. Au moins, on ne viendra pas vous le piquer (sauf vampires de passage).

writing

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

La pointe de l’actu

 

A l’heure du tout-informatique, on pourrait penser que la pratique se perd. Du tout. Certains journaleux persistent à arborer leur stylo à l’écran et on ne les voit jamais s’en servir.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Archétype du stylo-bille greffé à la main : Henri Sannier. L’homme qui, bien avant l’arrivée des tablettes numériques (on n’en sort pas), vous recommandait de « bien le noter sur vos tablettes », sans qu’on sache encore aujourd’hui à quoi il faisait allusion :

Dans le genre décontracté, le petit Louis Laforge, pas mal non plus :

Sans faire injure à Riri et Loulou, la palme du signe extérieur de professionnalisme (« top crédibilité », persifleraient les Guignols) revient néanmoins au regretté Jean-Luc Delarue. Ah le porte-bloc à Delarue.

La sous-exploitation de l’attirail fait peine à voir. Un trait en guise de « ça c’est fait », sans autre forme de procès.

 

On conçoit que le stylo de l’homme-tronc lui permette de ciseler ses textes avant la grand-messe. Elagage et raturage sont les deux mamelles du précieux instrument, on ne revient pas là-dessus. Mais que ne le lâche-t-il pendant ? Comme s’il pouvait biffer le prompteur ! Quant au papier de secours mis de côté à chaque transition entre deux sujets, on voit mal comment il pourrait croiser la route dudit stylo.

Imaginez que le garagiste vous tende sa louche encore poisseuse de cambouis en même temps que la facture, ou que le dentiste vous fourre son diplôme sous le nez en vue de vous rassurer sur la qualité du détartrage. Eh ben c’est totalement pareil : y’a pas besoin.

 

Porté de manière ostensible (pour ne pas dire ostentatoire) devant la caméra, le stylo fait au pire office de grigri, au mieux occupe les mains comme une clope.
Frimer tue ?

Merci de votre attention.