Extinction des feux

 

Quoique la mode soit mort-née il y a déjà quelques piges, une frange non négligeable d’automobilistes persiste à rouler en plein jour avec les phares allumés. Un peu comme de chauffer au mois d’août ou de plonger dans une piscine au bord de la mer. Effarant.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Plaçons-nous dans la tête de la frange en question. Au démarrage, tac, les phares, comme ça, on n’a plus à y penser. Et en effet, on ne pense plus que c’est pour être mieux vu, les phares. Notamment sur le bord de mer susdit, comme vous le confirmera n’importe quel moussaillon.

 

Après tout, en bagnole, n’est-on pas le gardien de phares de son propre périmètre ? Epargnons-nous manips, batterie et ridicule. Et réservons le rituel pour l’obscurité.

De nuit, question de survie. Entre chien et loup (moment dont on ne se méfie jamais assez), on préfère les avoir. En plein cagnard, pourquoi faire concurrence au soleil ?
Si c’est pour être mieux vu, c’est loupé.

A moins que ce ne soit justement pour se distinguer du trafic ? Il est vrai que multiplier les trucs débiles pour être vu est un penchant éclairant de notre civilisation.

 

Pour les demeurés qui demeureraient droits dans leurs bottes au nom du code de la route, révisons la sourate du jour :

Les feux de position (ou « veilleuses »)
Ils vous permettent uniquement d’être vu des autres usagers, mais pas de mieux voir. Vous devez les allumer dès que la luminosité décline légèrement. En ville, ils peuvent suffire si la visibilité est suffisante.

Les feux de croisement (ou « codes »)
Ils permettent à la fois d’être vu des autres usagers et de mieux voir la route à 30 mètres. Ils peuvent être utilisés en toutes circonstances la nuit et doivent être utilisés le jour s’il pleut, s’il neige ou s’il y a du brouillard.

Les feux de route (ou « pleins phares »)
Ils vous permettent de voir à au moins 100 mètres. Très éblouissants, ils sont utilisés la nuit, lorsque la route n’est pas éclairée et qu’aucune voiture ne roule en sens inverse. Si c’est le cas, repassez en feux de croisement afin de ne pas éblouir les autres conducteurs.

 

Aussi, éteignez.
Eteignez.
Eteignez.

Merci de votre attention.

 

Oh la belle bleue

 

Ceux qui commentent le spectacle vous en veulent personnellement. Ne faudrait-il pas disposer d’un bâillon ou d’un nécessaire à couture susceptible de leur clore le claquemerde ? Non, car leurs « mmm-mmm » viendraient encore tout gâcher.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Toutes les subjectivités ne se valent pas. Vous n’aurez pas meilleure occasion de le vérifier qu’à portée d’oreille de ces trouducs intempestifs jugeant bon de partager leurs impressions à haute et intelligible voix, au cas où l’auditoire aurait besoin de sous-titres. Inutile de dire que le plaisir muet de la connivence s’évapore sitôt la première platitude flatulée dans votre dos. Les plus teigneux se font fort d’anticiper la scène suivante. Ils vous tireraient du sommeil pour une khônnerie que l’effet ne serait pas plus dévastateur.

 

Car non seulement votre interprétation sera différente de la leur (qui rase les pâquerettes) mais show must go on pendant ce temps-là, comme disait Freddie lippu.
Et puis comme disait Bergson, d’une justesse à filer la chair de poule, quand l’artiste cause, shut up puisqu’il magnifie le réel :

Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, (…) nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes.

 

Face à ces symptômes inquiétants, déjà décelés du reste chez le touriste lambda, il convient de se pencher sur les causes pour que ça cesse, nom d’une pipe en bois.

Avançons l’hypothèse que le commentateur est jaloux de la qualité du spectacle et qu’il met son grain de sel là où il le peut.

Deuxio, sans doute se rassure-t-il sur sa propre compréhension de ce qui se déroule sous ses yeux (spectacle vivant, film, émission, tout est bon). Il est de votre devoir de le mettre en garde : s’il attend un assentiment des autres spectateurs, il ne recueillera au mieux que regards noirs et soupirs excédés, voire coups de boule au faîte de l’agacement.

 

De même que les visiteurs de musées passent à côté d’une expo en la mitraillant, le bavard ne gardera aucun souvenir de ce qu’il a vu – et sera de surcroît le caillou dans la godasse du public qui l’entoure.

 

Quant à ceux qui parlent sur le disque, promettez-leur le même sort qu’à Raoni, ça leur apprendra.

Merci de votre attention.

 

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Henri Bergson, Le Rire.

 

Fulgurance #51

Interlocuteur d’une fois unique : celui qui te pompe huit minutes de ton temps (et du sien) quand une suffisait.