« Déchirer sa race »

 

Il n’est pas rare que le pékin moyen partage son enthousiasme en ces termes :

ça déchire sa race.

A condition de réellement kiffer sa race, sans quoi « ça déchire » suffit amplement.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Deux notions plus absurdes l’une que l’autre, juxtaposées pour défier toute vraisemblance : « déchirer sa race » est un tour de force.

 

Péter, tout arracher et s’éclater avaient précédé déchirer au rayon forte impression, section déformation.

Mais le verbe était en dessous de la vérité. On lui a donc adjoint le concept de race qui, si l’on ne zigouillait encore en son nom, mériterait de souiller la culotte de son voisin de couleur.

Et là, on parle uniquement d’êtres humains.

Car « déchirer sa race » ne s’emploie que pour des objets ou des œuvres. A quelle race ceux-ci peuvent-ils bien appartenir ?

 

Foin de dithyrambes, nous revient en mémoire le fielleux

va niquer ta race,

sous-entendu

tous ceux de ta race.

Dans l’expression du jour au contraire, l’objet admiré ne peut « déchirer sa race » que dans sa globalité. Vous pouvez commencer à vous représenter mentalement une « race déchirée ». La journée ne sera pas de trop.

 

Faut-il y voir une variante de l’omniprésente figure maternelle (« la vie/tête de ma mère ») ?

Moins rugueux que

va niquer ta mère,

« va niquer ta race » diluerait le lien de parenté juste ce qu’il faut. Idem pour

ça déchire sa mère,

qu’hors césarienne on ne recommande pas plus que ça.

 

Ce désir infantile que tout le monde éprouve la même chose que nous explique nos jugements de valeur excessifs. Ainsi surjoués, ils donneraient plutôt envie d’écarteler le genre humain.

Merci de votre attention.

 

Je te kiffe, moi non plus

 

Sur la richesse ou l’appauvrissement qu’amènerait la faconde banlieusarde à la langue, on peut gloser à l’infini. Et louper l’essentiel : l’autochtone de la téci (ou d’ailleurs) est si souvent en représentation que son

je te kiffe

vaut déclaration d’amour. Pas étonnant que les filles du sexe féminin le trouvent relou.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le verbe est coloré, aucun doute là-dessus. Il sous-entend le « plaisir », le « bien-être », la « joie » et, appelons un joint un joint, l’« euphorie » causée par le kif, ce haschich du bled. Kiffer sent le soufre, suinte l’addiction (hallucinogène ou affective) voire l’érotisme lié au fait d’inhaler et de se laisser envahir. Précisément, un gentilhomme peut-il mettre sur le même plan une idylle et deux taffes ? Le cœur (flamboyant) et les poumons (cramés) ?

On vous l’accorde, se laisser aller à dire

je t’aime

requiert d’en avoir dans le slibard de l’entraînement. Mais bande de bonobos, voyez pas la différence de calibre ?

Je te kiffe

est la formule d’un flirt au maximum. Pas celle d’un amoureux transi, méfiez-vous. Transposez le C.O.D. à la 2e personne du pluriel et « je te kiffe » s’effondre comme une barre d’immeubles après le compte à rebours.

C’est que kiffer ne pose qu’un jugement tout juste subjectif, qui sert pour tout ; on pourrait aussi bien dire « je kiffe le poisson pané ».
L’on vous fera grâce ici du rutilant (sic d’avance) :

Laisse-moi kiffer la vibes avec mon mec.

Mais, objectez-vous, idem pour le verbe aimer : « j’aime le poisson pané ». Rââh, permettez. Cas unique en français, aimer s’anime d’un sens plus fort tout nu qu’habillé :

Je vous aime ;
Je vous aime beaucoup

Hein ! Au bout de la seconde proposition, on s’attendrait à ce qu’un mais parachève le râteau.

Alors que, vous en conviendrez,

je te kiffe

et

je te kiffe grave

barbotent sensiblement dans le même marigot sémantique.
Il n’est pas né le colin qui vous éconduira, au moins.

 

Vaste sujet, souvent traité ici même ( pis aussi) que l’expression amochée des émotions…

Vivement

j’te prends j’te nique !

Merci de votre attention.