« Partir sur »

 

On était parti sur « on est sur » il y a déjà fort jolie lurette. On en avait oublié « partir sur » dites donc.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Les toqués médiatiques ne se privent pourtant pas de scénariser à longueur de recettes :

on est parti sur un coulis de fruits rouges.

 

Déjà, on ne part que vers ou pour, hein. A la limite, sur un vol à destination de. Mais assez pleuré sur sur. D’autant qu’une variante avec avec s’invite de plus en plus souvent :

on part avec un coulis de fruits rouges.

Sans que ça tache les bagages ?

 

Notez aussi que « partir sur » s’utilise toujours avec on. Personne ne s’y risque à la première personne, ni à la deuxième, ni même avec un pronom défini quel qu’il soit.

Un plat serait-il une aventure collective où l’émulation donnerait naissance à des associations insoupçonnées ? Evidemment non. C’est l’idée d’un seul mec (ou nana du sexe féminin). Exécutée à plusieurs, à la rigueur (l’idée, pas la nana du sexe féminin). Lorsqu’elle est vraiment réussie, on parle de « spécialité du chef » (ou du chef du sexe féminin).

 

Mais le plus grave, c’est qu’on a beau « partir sur », on n’« arrive » jamais « sur » quoi que ce soit. Alors que le plat est abouti, de toute évidence.
Le produit fini diffère-t-il à ce point de l’idée de départ ? Evidemment non. Pas de chemins de traverse, au contraire ; mieux vaut qu’il sache où il va, le chef.

 

« Partir sur » affiche une spontanéité de façade. Et quand la locution se nappe de diplomatie montée en chantilly :

on peut partir sur,

le summum est atteint, comme la tarte du même nom.
Il y a peu de chance que les sœurs Tatin soient parties bille en tête sur un concept aussi louf.

Merci de votre attention.

 

« Préchauffer le four »

 

De même que les contes commencent toujours par « il était une fois », la plupart des recettes débutent par un sacro-saint « préchauffer le four ». Passons sur le temps de préparation dépassant allègrement celui du préchauffage susdit, ce qui stresse le cuistot et gâche du watt à tire-larigot. La véritable fumisterie réside dans l’emploi des termes. Préchauffage ? On vous ferait avaler n’importe quoi, à vous.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car qui dit préchauffage dit obligatoirement chauffage.

Or, à moins d’un antique four à pain alimenté au feu de bois, nous autres ne chauffons pas le four à proprement parler : nous nous contentons de l’allumer. En plus, un seul geste pour préchauffer et pour chauffer, c’est pratique.

fourImaginez maintenant qu’il vous prenne l’envie d’enfourner sans préchauffage. Par quelle formule commencer la recette ? « Chauffer le four » ? Vous enclencheriez plutôt la cuisson. Et si cuire = chauffer (règle de trois), précuire ne peut équivaloir à un préchauffer qui, nécessairement, le précède – sans quoi ça précuit que dalle et la tarte, c’est du caoutchouc.

D’ailleurs, quand on y réfléchit, cuire n’est pas tant chauffer le four que le plat qui y va.
Par conséquent, toute espèce de préchauffage est bonne à jeter au feu.

 

Montons d’un étage. Vous a-t-on jamais sommé de « préchauffer la plaque » en vue d’y poêler quelque chose ? Ou de préchauffer la matière grasse y afférente ? Voyez le ridicule, pour ne pas dire l’extrême gravité de la chose. « Chauffer la plaque » ou « faire chauffer l’huile », telle est la consigne ; toujours pas de préchauffage en vue.

 

Moralité : allumeeeeeeeer le feu, allumeeeeeeeer le feu, et faire danser les diableuetlesdieuuuux.
Et ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup de tartelettes.

Merci de votre attention.

 

A qui appartient la tour Eiffel ?

 

Alors comme ça, la tour Eiffel serait à tout le monde sous prétexte qu’elle est dans nos cœurs et autres envolées lyriques de trois cents mètres de haut ? Fini de rire, parlons droit et propriété.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Elle fait partie des meubles. Et quand bien même : les meubles n’ont pas toujours été là. A l’instar de l’armoire lorraine, du deux-corps et du bahut de grand-mère, il faut bien que cette tour appartienne à quelqu’un. Mais à qui ?

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Est-elle inscrite au patrimoine mondial de l’humanité ? Allez roucouler ça aux pigeons qui s’y soulagent.

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Les sociétés privées qui y font leur beurre, restaurants, boutiques de souvenirs, stations météo, antennes radio et télé ? Chacune n’a droit qu’à un bout de la belle.

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L’exposition universelle ? C’était sans doute valable en 1889, année de son érection (c’est dire le respect qui lui est dû). Rappelons qu’au début du XXe siècle, une fois la nouveauté retombée, on a bien failli la démonter. Les ouvriers ont eu chaud aux fesses.

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Revient-elle à la ville de Paris, alors ? C’était le cas jusqu’en 1980, avant que la capitale ne lâche du lest dans une société d’économie mixte.

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Bah, ça vaut mieux comme ça.
Imaginez qu’elle devienne la propriété d’un descendant du père Gustave (et Dieu sait qu’un Eiffel bien décidé ne se laisse pas déboulonner). Si l’envie lui prenait, rien ne l’empêcherait de la déménager dans le jardin, à côté du quetschier. Et personne ne pourrait rien dire : l’arrière-arrière-arrière-petit-ingénieur aurait le droit de son côté.

Rassurez-vous, vu les déplacements de foule que ça créerait, il n’en ferait rien. Pour l’amour des questches.

Merci de votre attention.

 

Corroborer

 

Certains tiennent corroborer pour un synonyme chicos de confirmer. Les vivisecteurs du dimanche, eux, y repéreront –roborer. Même radical que dans roboratif ? Ça mérite confirmation.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme il n’est pas plus tarte adjectif que roboratif, censé nous réconcilier avec l’art tandis qu’il nous fâche avec la langue, on perd de vue sa fonction « revigorante ». De même, cor-roborer = « fortifier, tonifier », selon l’acception médicale jadis en vigueur.

 

A y regarder de plus près, c’est la racine du chêne latin robur qu’on vient de déterrer là. D’où le méconnu rouvre (ce « chêne à feuilles caduques », les habitants de Rouvray seront ravris) et le familier robuste. Quant au verbe du jour, pas étonnant qu’il équivale à « renforcer » au sens propre depuis 1389.

 

Et c’est loin d’être fini.

Pourquoi les Latins – tout sauf des glands – nommaient-ils leur arbre robur ? Parce que son bois tirait sur le ruber, tiens. Pas de quoi attraper la rubéole, ni titrer à l’« ocre rouge » pour en faire une rubrique.

Un rubis, cette étymo.

 

Par ailleurs, il se trouve que le rouge est la seule couleur dont l’aïeul indo-européen reudh- rougeoie dans toutes les langues.
Roboratif, non ?

Merci de votre attention.

 

« En berne »

 

Parmi les expressions toutes faites méritant tarte dans la gueule figure sans conteste « en berne ». Notez que seuls les journaleux et les zéconomistes qui leur font face la prononcent. Hors plateau, au-dessus de l’évier ou d’un gratin de coquillettes, tout ce petit monde reparle normalement, sans que jamais ne lui vienne cette formule à la khôn.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Croissance en berne,
exportations en berne

voire, allons-y gaiement,

moral en berne,

la métaphore, fournie avec le Smith & Wesson, est censée décrire une stagnation. Elle se veut plus soutenue qu’« en panne » ou « au point mort », autres « trouvailles » tirées du lexique médiatique (sans limites) de la montée et de la descente.

 

Berné par ces occurrences au figuré, on en perdrait presque de vue l’analogie avec ce bon vieux drapeau en berne, hissé à mi-hauteur en signe de deuil (mais pas replié, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ‘tention).
L’heure du recueillement a sonné : croissance, exportations et patate ne reviendront plus.
A l’énoncé d’« en berne », l’abattement est instantané. Pire, on n’en voit pas la fin. Imaginez un innocent en cellule attendant la révision de son procès ou une bistouquette rabougrie dans l’espoir d’un prochain garde-à-vous. L’effet est aussi désastreux.

 

Si les déclinologues de tout poil ne parviennent pas à entamer votre optimisme à coups de « banqueroute » ou d’« Etat en faillite », « en berne » rappellera à qui veut l’entendre qu’il n’y a pas de quoi pavoiser.

Merci de votre attention.

 

Tartine

 

La confiture, ça dégouline
Ça passe par les trous d’la tartine…

Mis en chanson par les Frères Jacques, cet amer constat appelle une interrogation tout aussi pertinente, si pas capitale : aurait-on formé le mot tartine sur tarte, rapport au nappage fruité ? Dans ce cas, le créneau de la « petite tarte » n’était-il pas déjà occupé par la tartelette ? Chausse-trape, coup fourré et pédalage intra-confiturier.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Jusqu’à preuve du contraire, on tartine son pain de n’importe quelle bectance pourvu qu’elle s’y étale (confiote, miel, rillettes, frogome et tutti et quanti…). La gelée de coings et la mimolette vieille font donc partie du lot ; laissons les tartinologues à leurs contradictions.

Certains sont encore capables d’appliquer une sous-couche de beurre à leur Nutella : plus qu’un scandale pour le cholestérol, un blasphème à la sacro-sainte tartine.

Laquelle met des miettes dans tous les dictionnaires depuis 1835. L’étymo nous en livre déjà une attestation isolée – car diablement sibylline – vers l’an 1500 (in Jean Molinet, Faictz et Dictz, on ne change pas une virgule) :

Sancta Barbara (…)
Gardés nous de faulses tartines,
De traïson, de faulx attraict
Et de ces langues serpentines.

Nul doute que l’épisode où Sophia avoue à Joe les mensonges d’Augusta entourant la liaison de Mason avec Kelly au petit déjeuner a dû travailler l’auteur.

Tartine apparaît au sens de « tranche de pain beurrée » début XVIIe. Encore les lexicographes s’écharpent-ils deux bons siècles sur son degré d’entorse à la langue, considérant le mot comme familier au mieux, incorrect pour les plus teigneux !

Il dérive pourtant bien de la tarte, n’en déplaise à la fine bouche des coincés du dessus, trop habituée sans doute aux brioches et tartelettes jouxtant caoua.

Meuh oui, c’était aussi tarte que ça, pas la peine d’en faire des tartines.

Merci de votre attention.

 

« On est sur… »

 

Si prononcer cette mocheté ne vous a jamais effleurés, vous êtes sur la bonne voie.
C’est d’ailleurs à peu près tout ce qu’il est possible de dire avec le verbe être et la préposition sur : la bonne voie, de bons rails, a contrario une mauvaise pente qui n’est pas votre cas. Ou alors on sort carrément des expressions figées et à vous le choix des armes pour votre complément de lieu : on est sur le toit, la barque, la fille mais en l’espèce assurez-vous qu’elle y consente.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Expliquez-moi comment, d’une expression propre à l’œnologie :

on est sur des arômes de baies rouges ;

on est sur un vin blanc sec mais avec tout de même un beau fruité qui va sur la pêche et la poire

(noter le beau petit doublé) ;

 on est sur quelque chose de long en bouche

(dites, vous êtes bien redescendu de la fille depuis tout à l’heure ?)

… on est maintenant sur un tic verbal qui étend ses tentacules à toutes les luettes de la société ?

Car là où chez les œnologues l’affectation, voire la très légère morgue de cette tournure installe une frontière implicite mais nécessaire entre eux et nous, qui sommes infichus et pour cause de distinguer de la framboise dans du raisin, l’expression sombre dans le ridicule dès lors qu’elle n’est plus parole d’expert :

on est sur un phénomène… ;

je dirais qu’on est sur du 50/50 ;

on est sur un picrate qu’est pas dégueu.

Exit « on a affaire à » ou « on est en présence de », sacrifiés sur l’autel de la concision-pour-faire-genre.

 

Ridicule, disais-je, dont le summum est atteint et même dépassé dans une pub, encore impensable il y a cinq berges.

Mes pauvres choux, nous sommes bien d’accord, le texte débité par l’« expert » a été écrit par un auteur rétribué pour ça. Lequel, mû sans doute par un dernier soubresaut d’amour-propre, doit raser les murs à l’heure qu’il est.

C’est pour un dentifrice :

(noter le beau petit doublé).

 

La bonne nouvelle, c’est que mon dentifrice, y’a pas besoin d’en changer, je le garde. Et ma langue s’en porte pas plus mal.

Merci de votre attention.