Tancer

 

On ne peut que « se faire tancer » ou « tancer quelqu’un ». « Vertement » en général. Ou « d’importance » pour les plus lettrés. Tancer ne reste jamais seul. Et qui le consolerait ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si nous l’affublons ainsi de compléments, c’est sans doute pour atténuer un peu son côté aristo. Qui n’est pas propre à tancer, car le vocabulaire du remontage de bretelles boycotte le registre soutenu depuis qu’on s’est aperçu qu’y mettre les formes (« admonester », « morigéner », « chapitrer », « gourmander ») ne servait à rien. Aujourd’hui, le tancé de service se fait au minimum « passer un savon », « engueuler comme du poisson pourri » ou « appeler Arthur » si toutefois l’auguste prénom ne figure pas déjà à son état civil. Dans le cas contraire, on l’appellera simplement « khônnard ».

 

Notre ami du jour apparaît au XIIe siècle sous le déguisement « tencier a aucun » puis sous la forme tancier. La moutarde monte progressivement jusqu’à tenchier un siècle plus tard. Autant dire qu’en ce temps-là, les grosses bêtises, ça y allait.

 

Ne nous laissons pas distraire. Tencier première manière n’est qu’un copier-coller du latin populaire tentiare, formé sur tentus, participe passé de tendere qu’on reconnaîtrait entre mille : « tendre, faire un effort ». Moment de tension par excellence, l’engueulade n’a rien à envier au montage de tente standard.

Et l’attente, et la tentation ? Elles ont de qui tenir : ten- l’indo-européen, d’où sont issus le persan tar et le grec tonos, « corde ». Le son de cette dernière, à mesure qu’elle n’est plus tendue, s’atténue. Heureusement que le ténor est là, dont le tonus tétanise l’auditoire qui lui réserve un tonnerre d’applaudissements comme il se doit.

Merci de votre attention.

 

Ecouter

 

Le fossé qui sépare voir de regarder, respirer de sentir, ingurgiter de manger et entendre d’écouter se remblaie tout seul pour toucher. Hein ! Qu’on le veuille ou non, quand ça touche, ça touche.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Faites l’expérience avec un sourd, vous constaterez que lui aussi écoute ce qu’on lui dit : pas d’autre manière de décrire son attention. C’est dire la puissance du verbe.

 

D’eskolter (IXe siècle) à escouter (XVIe), les versions de lancement situent l’engin dans l’écurie latine. En Italie, on conjugue ascoltare en ce moment même.
Au vu du profil bien reconnaissable de ce dernier, justement, écouter ne serait-il pas le frère caché d’ausculter ?

Vous venez de rafler le gros lot.

A l’origine du verbe rital, ascultare (latin populaire) provient du plus classique auscultare, « écouter avec attention » mais aussi « ajouter foi, obéir ».
Notons au passage quel magnifique pléonasme « écouter avec attention » ferait en pendentif. On s’était pourtant entendu là-dessus dès l’intro (mais vous n’écoutiez pas) : [écouter] – [attention] = entendre.
Observons par la même occase qu’il ne peut y avoir « obéissance » qu’en cas d’écoute préalable. A méditer, parents.

Mais auscultare, d’où vient-il ? Tendez bien l’oreille, littéralement de « tendre l’oreille » : aus-, condensé d’auris (« oreille »), –cultare né du radical indo-européen kel (« incliner »).

 

Ecouter/ausculter, les toubibs ont donc vocation à écouter deux fois leurs patients. S’ils y mettaient un bon coup la première fois, on ne serait pas obligé d’en passer par la phase stéthoscope gelé. Et toc.

Merci de votre écoute.