Remorque

 

Une remorque, c’est ce qui sert à remorquer, remarqueront les uns. Les autres au contraire soutiendront mordicus que c’est la remorque qui se fait remorquer. C’est épuisant, les malentendus. Heureusement que l’étymo est là.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

D’autant que tout le monde semble d’accord sur le sens du mot remorque :

bateau ou véhicule à roues dépourvu d’un moyen de propulsion propre et employé pour le transport des marchandises et/ou des voyageurs.

Même si de nos jours le voyage en remorque se perd, il suffit de tracter n’importe quel contenant pour le remorquer ipso facto. Sur mer (remorqueur) comme sur autoroute (Hollandais, à l’aide d’une balle de tennis qui remorque aussi les caravanes, comme quoi).

Tirons enfin d’une ingrate désuétude le fameux « être à la remorque », savant mélange d’« être à la traîne » et d’« être à la ramasse ».

 

Au risque d’en décevoir certains, remorque n’existe que par la grâce de remorquer, qui a connu quelques variantes régionales : remocquer, remolquer ou remocar (en provençal). Le cousinage de l’anglais remote car (« voiture éloignée ») et de roule tocard (« voiture dépourvue d’un moyen de propulsion propre »), quoique séduisant du point de vue sémantique, reste sujet à caution.
Tel n’est pas le cas de l’italien rimorchiare, lui-même issu du latin remulcare, dérivé de remulcum, « câble de remorquage ».

La remorque qui se mord la queue ?

Pas si on pense au latin remora, « retard ». Les amis des poissons songent instantanément à la rémora, réputée foutre en retard toutes les coquilles de noix sur son passage.
Mais aussi le moratoire imposant un « délai » nécessaire. Sans oublier demeurer, anciennement demorer, « tarder ».

Les latins allaient même jusqu’à qualifier de remeligo une « femme qui marche trop lentement ». Comme les temps ont changé ! Maintenant, on dirait plutôt pléonasme.

 

On peut aussi voir en remulcare un proche parent de promulguer, construit sur le latin mulgere, « traire, presser » (ce qui nous vaut émulsion et milk-shake, by the way). Hypothèse peut-être un peu remorquée par les cheveux.

Merci de votre attention.

 

Comment ne pas éveiller les soupçons lorsque tout vous accuse ?

 

Vous qui passiez par là à l’heure du crime, il se trouve que non seulement vous avez un mobile mais que votre alibi tient debout comme une saucisse encore vivante.
N’y allons pas par quatre chemins : les apparences sont contre vous.

L’affaire est mal embarquée. Vous aurez beau crier au coup monté et à l’erreur judiciaire, il ne se passera pas trois minutes avant que la volaille assermentée ne vous fasse circonstancier vos aveux, car c’est comme ça qu’on dit.

fbi-lisa

Néanmoins, en soulignant certains détails troublants, vous devriez pouvoir convaincre les enquêteurs qu’ils font fausse route. Ils enverront alors au casse-pipes un pauvre bougre en cravate chargé d’expliquer qu’à cette heure, aucune piste n’est privilégiée, car c’est comme ça qu’on dit lorsqu’on pédale dans la semoule.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en accusé civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Lancez-vous dans la politique. Habitué à nier l’évidence, vous pourrez bénéficier non pas de la présomption d’innocence comme tous vos électeurs concitoyens mais de l’immunité absolue due à votre rang.

 

♦  N’ayez pas la gueule de l’emploi : contentez-vous d’être vous-même. Vos voisins dodelineront d’incompréhension en vous décrivant comme quelqu’un sans histoires.

 

♦  Plus onéreux, la greffe d’ADN éloignera les soupçons (prélevé sur quelqu’un que vous n’aimez pas, de préférence).

 

♦  Vous n’avez rien à vous reprocher, peut-être, mais les autres ? Evitez les catégories bouc émissaire du type noir/jaune/rouge/blanc/vert/juif/arabe/pro/anti/grand/petit/
gros/mince/homo/hétéro/bi/[compléter].

 

♦  Quoi qu’il en coûte, ne bossez plus votre revers avec les mouches du salon. Vous aurez la réputation de « ne pas faire de mal à une mouche » et personne n’ira vous chercher des poux sur la tête.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Balles perdues

 

En entrant, les cadors du circuit ont déjà l’air sérieux mais c’est pour de rire : ils profitent du court bondé pour s’échauffer. Cuisine interne aux tennismen.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Imagine-t-on les gladiateurs faisant gouzi-gouzi avec le lion dans l’arène ? Une diva encore au stade des vocalises sur scène ?
Passe encore que les champions se balancent à tour de bras des services et des smashes à la gueule. Que ne huilent-ils la mécanique en privé un petit quart d’heure avant ? Ces messieurs avec Oreillettes de l’Organisation ne peuvent-ils point leur trouver un court de libre ? Allons allons.

Et encore, le spectacle est digeste grâce au réalisateur, qui varie les plans comme il peut. Mais quid de ces échauffements publics vus des gradins ? Dégradant !
L’impression qui s’en dégage, c’est que non seulement ils se déroulent sans nous mais aussi sans les joueurs, dont l’arbitre égrène les curricula comme s’ils n’étaient pas là.

 

Certes, les caméras qui filment l’athlétisme ont pris l’habitude de capter en direct des pointes de vitesse sur le terrain d’échauffement situé à quelques encablures. Entre nous, l’intérêt de zieuter les athlètes en passe de concourir en survêtement, sous écouteurs le plus souvent, et quasiment à la dérobée, avoisine peau de zob, non ?

Quant aux footeux et rugbymen gagnant la pelouse, on conçoit qu’ils s’étirent un brin. Mais, sauf coup d’envoi fictif au profit d’une cause lambda, le match débute dans la foulée. Idem pour tous les sports collectifs. Et de raquette, d’ailleurs. Ping-pong, badminton, logés à la même enseigne : t’es venu pour jouer, tu joues.

 

Manière de faire monter la tension ? Vieux fond d’aristocratie british ?
Spectateurs, puisqu’on vous prend à témoin, applaudissez chaque « échange », histoire de montrer que vous au moins ne comptez pas pour du beurre.

Merci de votre attention.

 

Denrée

 

Sur le plan graphique, denrée est une denrée rare. L’un des quelques spécimens dont le n jouxte le r, avec quelques verbes en enr- et une paire d’adjectifs en inr-. Sans oublier Henri Leconte et John McEnroe qui, pour se donner un genre, enrageaient lorsqu’elle était inratable.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Sur le plan de l’étymo, denrée n’est autre que la contraction de denerée, soit la « valeur d’un denier » dans les eaux de 1160. Cuiller → cuillerée, denier → den(e)rée, jusque-là, rien de drôle.

Au risque d’en décevoir certains, ce qu’on pourrait se mettre sous la dent n’est denrée que par pure coïncidence (quoique la valeur d’une dent se trouve être celle d’un denier après le passage de la petite souris)…

 

Tel le numismate, scrutons donc le denier.

On apprendra que celui-ci valait au départ dix pièces de monnaie romaine. Dix d’où dener, son petit nom vers 1100, où le taux de change était déjà de douze pour un sou. Treize étrange.

Et dinar ? Affirmatif, c’est bien le cousin nord-africain de denier, via le latin denarius forgé sur le distributif de decem deni, « dix par dix ».

 

Sautons les siècles quatre à quatre et arrivons-en à cette autre acception de denier datant de 1256 : « mesure de poids ». Comme pour la livre, le poids, c’est de l’argent (et réciproquement).

Il n’en fallait donc pas bésef pour qu’une denrée devînt par extension une marchandise plus ou moins périssable.

 

Confirmation éclatante qu’un dener c’est un peu lourd, surtout vite avalé.

Merci de votre attention.

 

Un coup bref, un coup long, un coup bref

 

Un tic télévisuel s’invite depuis quelques berges à toutes les tables de montage lors d’un événement sportif : remontrer l’action au ralenti, amené (et parfois évacué) en accéléré, afin de faire paraître le geste encore plus surnaturel.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

D’un coup d’un seul, il semble que toutes les régies se soient donné le mot. On part quelques secondes avant le tacle, deux échanges avant le revers fatal, on les avale comme si de rien n’était pour ne s’intéresser qu’à la portion qu’on estime congrue.

Le procédé est au sport ce que le porno est aux histoires d’amour, pardon.

 

Certes, les réalisateurs étalent de la sorte leur virtuosité au grand jour. Ils donnent en direct la touche finale au spectacle. Sauf qu’on ne le répétera jamais zassez, la maîtrise technique seule ne vaut pas tripette.

Car ces zooms temporels, s’ils deviennent gerbants ridicules à force d’envahir l’écran, zappent surtout – littéralement – le signe avant-coureur, le coup d’œil, le placement, le détail décisif sans lesquels d’action, nada, et qui vaudraient le coup d’être revus (à vitesse au moins normale) pour éventuellement s’en inspirer si l’on est soi-même sportif.

Faut pas trop en vouloir aux types aux manettes néanmoins. Ces « stop and go » un rien puérils ne font que reproduire (inconsciemment ?) l’esthétique hongkongaise en vigueur dans les films de baston et les jeux vidéo du même tonneau, qui veut que le combattant s’élève dans les airs (sans élan) et ait le temps d’exécuter (toujours à ça du sol) des figures aussi élaborées qu’inutiles avant de balancer (fissa tout d’un coup) son ramponneau.

 

Tout ça colle de moins en moins au réel, allez quoi…

Merci de votre attention.