L’avoir en visuel

 

Un flic en planque ou un militaire épiant sa cible informera le collègue en ces termes :

je l’ai en visuel.

Arrêtons-nous un instant sur cette phrase.
Vous l’avez en visuel ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si c’est une question d’adrénaline, que les zigotos ci-dessus se détrompent : il n’y a pas moins de suspense dans

je le vois

ou

je l’ai dans mon champ de vision

si on n’aime pas « ligne de mire ».

 

Dans la même logique, pourquoi pas

je l’ai en auditif

au lieu de

j’entends quelque chose

ou

je l’ai en olfactif

à l’approche du baeckeoffe ?

 

Passé le moment de poilade, la compassion reprend le dessus. Dans les corps de métier où l’on s’ennuie ferme, inventer ce genre d’expressions est un passe-temps comme un autre.

Au deuxième degré, certaines ont carrément les honneurs du langage courant :

affirmatif/négatif ;
reçu 5 sur 5.

Quant à l’inénarrable

arriver sur zone,

il est en partie responsable de la surenchère de sur qu’on connaît.

 

Pour se distinguer des autres moutons, pas trente-six solutions : se mettre en scène. L’uniforme et le jargon sont là pour ça.

Merci de votre attention.

 

Reprendre c’est voler

 

Les albums de reprises ont au moins cette vertu d’être impitoyables pour les « artistes » invités ne valant pas tripette par ailleurs. Hein ! On n’est jamais déçu du résultat : pendant que nos chaussettes se barrent en trombe en faisant « kaï ! kaï ! », le dinosaure dont c’est l’hommage se retourne dans sa tombe à coups de triples axels.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Par exemple, Les oiseaux de passage, sorti en l’honneur de Brassens en 2011, aligne Yann Tiersen, Arthur H, Tarmac, Miossec, Les Têtes Raides, Saez… On en oublie un peu sur les bords, du gratin comme ça, ce serait dommage de s’en priver.
Ça loupe pas. La plupart de ces zozos se donnent le mot pour massacrer non seulement la lettre :

Un p’tit coin d’parapluie pour un coin d’paradis…

(pour pour contre, en quel honneur ? mystère)
… mais aussi l’esprit du grand Georges.
Gants, masque, pincettes, auscultons La Ballade des gens qui sont nés quelque part, par Tarmac (ex-Louise Attaque). Vous vous souvenez de Louise Attaque ? ‘Tention va falloir serrer les dents :

Ji voudrrais qui ti té raméééénes au vâânt…

Sont pas bégueules à la Sacem. En l’espèce, ceux-là te me trouvent le moyen d’évacuer la mélodie, de refourguer leur « harmonie » maison (tout en quintes, se sont arrêtés à la quinte) puis, dans un dernier sursaut d’impuissance, de ne ressusciter l’air qu’à moitié vers la fin.
Y’a d’autres métiers sinon.

Bon ben pour les cas désespérés, à quand un permis de reprise ? A n’accorder qu’avec parcimonie, s’entend, les élèves surpassant le maître se comptent sur les doigts d’une paluche. Rares sont les Crosby, Stills & Nash à avoir fait leur un Beatlesque Blackbird au point d’instiller le doute quant à la paternité du bijou. Pour parvenir à ce tour de force, encore faut-il savoir écrire soi-même et pousser la chansonnette, histoire de s’imprégner de la sève d’origine pour en bouturer un rameau unique.
Bref, piger un peu comment marche une chanson.

 

Les albums de reprises partent d’un bon sentiment. Dommage qu’on s’y foute un peu trop ouvertement de notre gueule.
Pourquoi confier des perles à des butors qui manifestement ne les sifflent pas sous la douche ?

Merci de votre attention.