Maharadjah

 

Les tintinologues le savent : il n’y a de maharadjah que celui de Rawhajpoutalah. Les autres peuvent aller se faire enturbanner ailleurs.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Maharadjah, maharajah ou maharaja selon les humeurs officielles, il apparaît sous le nom de marrajah (1758) puis de maha-rajah (1830). C’est pas tout : on distingue les mahârâdjas (dieux inférieurs du bouddhisme) des maharadjahs (« titre donné en Inde aux rois et aux empereurs »). Il est vrai qu’on a vite fait de se gourer d’étage.

Pour ne pas commettre d’impair, retenez aussi que la femelle du maharadjah ne se dit ni Brigitte ni maharadjette mais maharani.

Voici pourquoi la raison du comment se fait-ce.

 

Comme vous le susurrent vos rudiments de sanskrit, au pied de la lettre, maha-raja = « grand roi ».

Maha, on ne connaît que lui, quasiment un jumeau de magnus, né de l’indo-européen (qui n’a jamais porté aussi bien son nom) meg-. On le retrouve à l’état brut dans méga-. Au fait, le Mahatma Gandhi n’était-il pas une « grande âme » ? Le contraire foutrait la démonstration par terre de toute façon.

Ra(d)jah aussi est un vieux frère. A l’instar de notre roi, il descend de la racine indo-européenne reg-, « avancer en ligne droite ». Soit en ligne directe, right ? Là encore, à croquer non dilué dans régent, règne, régalien

Une chose de réglée.

 

Quant au rani de maharani, il est si proche de la reine que c’en est indécent.

 

Au passage, il y a fort à parier que Rawhajpoutalah soit une réminiscence-variation sur rajaputrah, qui n’est autre que le « prince » vu que c’est le « fils du roi ». Une sorte de maharadjah junior.

Merci Hergé.

Merci de votre attention.

 

« Coûter bonbon »

 

Apprenant que ça va vous « coûter bonbon », votre entourage prend un air aussi navré qu’entendu. Et vous plaint dans la même veine : « ah oui, ça, ça coûte une blinde ; je te l’avais dit, que ça allait te coûter un bras ; la vache mais ça coûte la peau du [censuré] ».
Or, quelle sorte de bonbon de luxe peut bien « coûter bonbon » ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Du plus loin qu’il vous en souvienne, aucun bonbon ne vous a jamais ruiné autre chose que les prémolaires.
Nounours en gelée, sucettes, berlingots, caramels mous, réglisse, têtes de nègres pour les plus téméraires, on a beau faire le tour des beums passés et présents, ceux-ci ne coûtent que pouic, surtout à l’unité. Faites mine d’embarquer toute la bonbonnière alors là oui, votre maigre argent de poche n’y suffirait pas. Mais on ne dit pas « coûter bonbonnière ».

 

Au seul mot de bonbon, la cantonade ouvre donc des yeux aussi gros que la dépense. Encore une expression idiomatique à laquelle on souscrit sans réfléchir.

Avec bagatelle au moins, l’antiphrase saute aux yeux :

ça lui a coûté la bagatelle de…

étant entendu qu’une bagatelle ne vaut, elle aussi, que pouic.

 

D’ailleurs, pourquoi met-on autant en valeur la chose qui coûte ? C’est comme si on disait d’une voiture qu’elle « coûte voiture » : on n’est pas plus avancé.

D’où l’intérêt de blinde, par exemple. Idem pour « attendre des plombes ». On ne se représente pas plus une plombe qu’une blinde. Pourtant, tout le monde sait ce que ça veut dire.

 

A moins que l’absence d’article ne place ce bonbon-là dans la catégorie adverbes :

ça va vous coûter cher.

Bonbon, ce serait un peu comme tintin alors. Ou dare-dare ou kif-kif ou toute autre syllabe redoublée pour le seul plaisir de l’avoir en bouche.
Pour la voiture, dites simplement teuf-teuf.

Merci de votre attention.

 

Huppé

 

L’organisateur d’une fiesta huppée ne s’en vantera jamais, du moins pas en ces termes. « Fiesta », c’est bon pour les bouseux, soyons sérieux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Quel rapport entre la « distinction » et le fait de « porter une huppe » ? Le signe distinctif, justement. Que seuls les oiseaux huppés ont le privilège d’arborer : roitelet, colibri, vanneau, grèbe huppé (le plus grand de tous les grèbes, famille des podicipédidés, alors autant pas le faire chier). Quant à la huppe, on la confond carrément avec son aigrette bigarrée.
(Attention, « aigrette » désigne ici la huppe et non l’oiseau.
Attention, « huppe » désigne ici la huppe et non l’oiseau).

 

Les ornithologues du XIVe siècle qualifient déjà de hupe la « touffe de plumes sur la tête de certains oiseaux ». Mot pompé sur huppe (le piaf), née uppa cinq siècles plus tôt, contraction du latin upupa. Quel est justement le nom scientifique de la huppe fasciée ? Upupa epops. A cause de son cri ? Si oui, les Grecs l’auraient donc ouï epops et les Latins upupa ? Jugez sur pièces :

L’onomatopée a de la ressource. Elle devient puppukis en letton, pupak en persan, hopop en arménien, hoephoep en afrikaans et hoopoe en anglais.

 

Quid alors de houppe, cet

assemblage de brins de laine, de soie, de fils liés ensemble à une extrémité de manière à former une touffe et qui sert d’ornement ?

Le mot éclot vers 1350 du bas francique huppo, « touffe », ayant probablement poussé sur l’indo-européen (s)keup- de même sens. A ce stade, rapprocher huppe et houppe ne serait donc point tiré par les cheveux, la seconde croisant comme un fait exprès le chemin de la première.

 

Hop hop hop, on est passé un peu vite sur cette histoire d’onomatopée tout à l’heure. Car hop ! descend de l’ancien verbe houper, « appeler quelqu’un » (sans doute comme le ferait notre huppe avec un larbinos quelconque à l’heure du déjeuner). On peut en admirer un vestige dans houp-là (un peu plus huppé).

Merci de votre attention.

 

Fausses jumelles

 

Il est temps de se focaliser sur un scandale dont personne ne s’émeut, ni pouvoirs publics, ni société civile, ni donneurs d’alerte d’aucune sorte : on ne voit jamais à travers des jumelles comme on veut bien nous le faire croire.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Vous qui avez coutume d’observer qui la faune d’en face, qui la voisine sauvage (ou l’inverse), bref qui vous voulez sans être vu, savez que la représentation graphique ou cinématographique dudit zieutage (avec le double arrondi en forme de coque de cacahuète) ne correspond en rien au rond central dans lequel la scène se déroule en réalité.

Foutage de tronche dont, moussaillons, à vos postes, voici un exemple fameux :

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Case de Coke en stock, p. 38.

On retrouve la coque de cacahuète caractéristique. La coquille de noix qu’on y voit dériver vaudrait même mise en abyme si nous étions d’humeur.

 

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Même case, transposée en couverture !

Jumelles devenues périscope, telles une chrysalide binoculaire ?
Il y a des sapristi qui se perdent.

 

Si l’œil ne transmet au cerveau qu’une image bien nette, il ne s’escagassera pas à ne fusionner qu’à moitié son pourtour. En poussant à fond cette logique à deux ronds, pourquoi pas deux ronds séparés par le nez ? Voyez bien que ça ne tient pas.

Mais nous sommes sûrement un peu khônkhôns.
Afin qu’on comprenne tout de suite qu’il s’agit de jumelles (tout du moins pour en donner l’illusion) : compromis de la coque de cacahuète, avec du noir autour.
Szut à la fin.

Merci de votre attention.

 

Le clapotis de la Mersey

 

Sommés de s’expliquer en leur temps sur le « Mersey sound » dont on les tenait pour dépositaires, les Beatles rigolèrent bien fort comme à l’accoutumée :

We don’t think there is such a thing as the Mersey sound. That’s just something journalists cooked up, a name. It just so happened we came from Liverpool and they looked for the nearest river and named it. The only thing is that we write our own songs.

Et hop, dans le vent aussi, les journaleux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

C’est vrai ça, aligner les mots

festival du film italien

est une commodité de langage. Mais quoi ?

Festival des films italiens

sonnerait quand même plus juste, no ? On y zieute bien des œuvres de cinéastes qui se trouvent être italiens mais qui ne se sont jamais dit : « Tiens, je vais faire du cinéma italien ». Même pas en italien.

De même, causer du « cinéma français » en tant qu’industrie, passe encore. Mais précédé, les soirs de remises des prix, de

la grande famille,

c’est à inonder sa lingerie intime. En fait de « famille », voilà un milieu où, concurrence oblige, la taille des egos incite davantage à dire pis que pendre du voisin qu’aux câlins institutionnels.

pathé

L’estampille du pays ? Le comme-une-otarie-sme ultime. Evidemment, on peut en retrouver la langue, le décor et, incidemment, les « valeurs » à l’écran. Mais s’amuser à dénicher la belgitude dans Tintin, très peu pour nous lecteurs. Laissons ça aux zexégètes et aux détaillophiles – qui eux-mêmes admettront perdre leur temps (parce qu’ils le veulent bien) à des carabistouilles.

Comprenons-nous bien : on peut toujours dégager des courants ou des constantes mais après coup. « La peinture canadienne ». Mettez-vous dans les pompes de l’aquarelliste d’Ottawa et définissez vos croûtes en cinq lignes.

 

Non seulement c’est donner une importance démesurée au lieu d’origine en tant qu’il façonne une vision du monde, mais c’est passer à côté de ladite vision, propre à chaque artiste. Les vrais hein, les moins enclins à se voir rangés dans des boîtes justement. Ceux qui, sans se laisser perturber par l’agitation du monde, rendent un hommage plus ou moins indirect à leur propre existence.

No one I think is in my tree.

Merci de votre attention.

 

Fulgurance #43

En écoutant attentivement un coquillage, on entend la mer.
Aux dires de ceux qui ont essayé, si on colle l’oreille à la gueule d’un lion, le bruit de la savane est encore plus probant.