Iceberg

 

Quand bien même vous seriez capable de déplacer des montagnes, n’attaquez jamais un iceberg avec un pic à glace.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Tout le monde se souvient du Titanic. Même ceux qui n’y étaient pas. Il n’y aurait pas lieu de s’en faire un film si le timonier avait pu éclairer correctement le péril. Par conséquent, il est un peu facile de tout mettre sur le dos de l’iceberg.

D’ailleurs l’intéressé a bon dos : sa partie émergée ne représente, comme chacun sait, que 10% de sa surface. La face cachée de la lune à côté ? Du pipi de sélénite. Au moins, avec une montagne, 100% de ce qui dépasse est visible. C’est pourquoi ceux qui s’y crashent en avion le font exprès.

 

Le premier ysbergh détecté en 1715 dérive du Nord. Entre le néerlandais ijsberg, le danois isbjerg et le suédois isberg, il a bien fallu trouver un compromis.

Pour ce qui est de berg, pas de lézard : indo-européen bhergh- impliquant la notion de « hauteur » et même de « forteresse », que l’on retrouve dans beffroi, bourg et jusqu’à Edimbourg. Quant au verbe allemand bergen, il « protège » et « met en sûreté » à la façon d’une berge.

C’est surtout la « glace » qui pose problème. Ice (ancien nordique íss, devenu ís en vieil anglais) ne coule pas de source. D’aucuns la font descendre du mathusalémique iranien aexa-, « gel, glace », et de l’afghan asai de même sens. Parlez-en aux Islandais, ça réchauffera l’atmosphère.

 

Chez les petits copains, peu ou pas de changements : iceberg (espagnol, rital), aisberg (roumain). L’espéranto, jamais à court d’idées, propose un glacimonto on ne peut plus cristallin.

Fait troublant, l’anagramme d’iceberg fait bigercé. C’est dire les dégâts provoqués par le bestiau.

 

Celui-ci, au prix d’une lente érosion, s’est d’abord mué en ice-Berg puis en iceberg au début du siècle dernier.
En 2080, on devrait dire simplement « grosse flaque ». C’est alors que les insubmersibles tiendront leur revanche.

Merci de votre attention.

 

Comment se changer au Paradis ?

 

Vous rendez à l’instant votre dernier soupir. Comme dans l’ensemble vous vous êtes tenu relativement à carreau, le Rédempteur, sympa, vous accueille avec les honneurs. Une fois réglées les formalités administratives, vous goûtez votre premier jour d’éternité bien méritée. Soudain, un doute vous assaille : ils ont des fringues de rechange, au Paradis ?

En Enfer, le problème ne se pose pas, on suffoque. Les âmes damnées ne s’y promènent même plus en bras de chemise, intenable. Elles ont d’ailleurs enlevé le haut et le bas depuis belle lurette. En vérité je vous le dis, c’est un sacré repaire de dégueulasses.

Mais pour vous, qui êtes venu avec ce que vous portiez sur le dos, qu’en est-il ? Pas de boutique, pas de foir’fouille à l’horizon. Vous ne voyez nulle part de lave-linge. En fait, il n’y a rien. On n’est pas aidé.

 

De votre vivant, pas plus de deux jours dans le même tricot était la règle. Passerez-vous le restant de votre mort sans garde-robe ? Ou irez-vous le kiki à l’air comme les angelots qui vous papillonnent autour ? Allons allons, tsk tsk. Vous êtes toujours ce pauvre pécheur, traversé de mauvaises pensées qui vous distinguent encore des nouveaux proprios.

Il faut vous rendre à l’évidence : les allégories avec lesquelles le catéchisme vous a bourré le mou n’ont fait qu’occulter ce genre de détails pratiques.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en sujet de Dieu civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Puisque vous n’en aurez pas d’autres, confiez vos vêtements aux saints ou aux archanges avec lesquels vous aurez pris soin de sympathiser. N’ayant que ça à foutre, ils vous les laveront régulièrement à la fontaine d’eau bénite (juste à côté des fontaines de Super Croix et de Cajoline).

 

♦  Demandez des permissions pour aller vous ravitailler en bas, dans la mesure où votre forme physique (inchangée depuis vos derniers instants) le permet. Pour ne pas inquiéter vos proches qui auraient tôt fait d’attribuer au surnaturel tous ces mouvements inexpliqués dans votre penderie, tirez un trait sur vos anciens effets. Faites plutôt les soldes, incognito.

 

♦  Pour ce qui est des pompes, évitez les semelles de crêpe (pour les messieurs) ou les écrase-merde (pour ces dames) qui, en transperçant les nuages, vous entraîneraient dans une chute de plusieurs milliers de kilomètres. Gros bobo, même pour un ectoplasme.

cirrus

♦  N’oubliez pas que vous pouvez virtuellement croiser tous les ceusses montés au ciel depuis que le monde est monde (l’an 1, une paille). Tirez parti de ce joyeux melting-pot pour épouser successivement la mode de chaque époque ! L’occasion rêvée d’échanger vos frusques avec celles d’un naufragé du Titanic (frileux s’abstenir) ou d’enfiler un slip de la Seconde Guerre Mondiale, les étoffes de la Bégum, le marcel de votre grand-père, les popelines à Saint Pierre… toutes les fantaisies sont permises. Et ça, faut laisser, c’est quand même chouette.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.