« Trouver la mort »

 

Suite à un éboulis ou une tuerie quelconque, les médias font le bilan de ceux qui y ont laissé la vie. Et qui, heureusement, ont « trouvé la mort ».

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Décidément, on n’est pas à l’aise avec la Grande Faucheuse. Dès qu’elle s’invite quelque part, celle-ci, les paraphrases vont bon train :

la Grande Faucheuse,
x n’est plus,
on apprend la disparition de x,
Dieu a rappelé x à ses côtés…

Plutôt mourir que de la regarder en face.

Le lexique familier n’est pas en reste :

y rester, clamser, casser sa pipe, passer l’arme à gauche…

 

Pour « trouver la mort », c’est plus subtil : elle s’affiche en toutes lettres et vous frappe de plein fouet. Ce qui est la pire des morts, puisqu’elle survient dans des circonstances sinon tragiques, du moins suspectes.

Or trouver, c’est plutôt une bonne nouvelle, d’habitude. Trouver une pièce par terre, trouver la solution, trouver à qui parler.
En côtoyant la fin des haricots, le verbe est censé l’attendrir. Mais « trouver la mort » ne soulage personne. Sauf les journaleux, ça leur évite d’appeler un chat un chat.

 

Dans un registre nettement plus gai, on ne peut s’empêcher de « tomber amoureux » ou de « tomber enceinte ». Là encore, sans crier gare.

Or tomber, c’est plutôt une mauvaise nouvelle, d’habitude. Tomber sur un os, tomber malade, tomber sur plus fort que soi.
Associé à des événements heureux, le verbe est censé nous mettre en garde sur leur côté éphémère (afin qu’on ne tombe pas de haut). Ça ne dissuade personne. Quant aux journaleux, ils continuent à tomber raide dingue de ces tournures.

 

Attention, stricto sensu, les victimes du hors-piste ne peuvent « trouver la mort », vu qu’elles l’ont bien cherchée.

Merci de votre attention.

 

Secret

 

N’allez pas confier vos secrets à n’importe qui. Dès l’instant où ils tombent dans l’oreille d’un pote, même trié sur le volet, ils cessent d’être secrets, ipso facto. Un secret, c’est sacré.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’héroïne en noir et blanc le prononce ainsi :

C’est uuun s’cret.

On ne s’en lasse pas.

Secret, comme le rappelle l’éblouissante introduction ci-dessus, est un cumulard comme on les aime.
Epithète d’abord, dès le milieu du XIIe siècle : « qui se tait, sur la réserve » ou « situé à l’écart des lieux fréquentés » (des « lieus segreiz »), notre homme se fait « discret » puis, n’ayons pas peur des mots, « dissimulé à la vue » au début du XVIe.

 

Y’a pas d’secret, il sort des jupes de secretus, « spécial, distinct, à l’écart, caché » (adjectif), et du frérot secretum, « lieu retiré » (substantif). En le prononçant à la romaine, l’air de famille ne saute-t-il pas aux yeux avec sécréter ? Tout juste.

Secretus, participe passé de secernere, variante de ce vieux cernere, « séparer », que l’on discerne encore à l’œil nu dans concerner et décerner.

Et ce se- ? Sans doute pour mieux marquer l’idée de « séparation », le préfixe a été scié sur secare, « scier ».
Si cette info vous scie les pattes, considérez donc votre sécateur et allez sectionner vos rosiers, ils n’attendent que ça.
Vous n’avez de jardin que secret ? C’est un monde, ça !

 

Evidemment, en rafistolant secretum en secretarium, les Zanciens nous montraient la voie du secrétariat, où s’entassent à la fois secrétaire (le meuble) et secrétaire (la pipelette). Entre nous, la personne la moins indiquée pour garder un secret.
Par conséquent, chut.

Merci de votre attention.

 

« Regrets éternels »

 

Tête baissée, nous fleurissons de « regrets éternels » un proche venant de canner. Ceux qui passent devant sa sépulture peuvent ainsi mesurer notre peine. Sauf que ho, hé, c’est quand même vachement exagéré, non ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si inconsolable soit-on, ces regrets prennent fin de facto le jour de notre propre mort. Après quoi ils se dispersent en cendres ou en asticots, c’est selon. L’on ne voit pas bien comment ils pourraient survivre à leur propriétaire.

A moins d’être croyant, dites-vous. ‘Scusez, ça marche pas des masses non plus. Soit on rejoint le cher disparu dans l’au-delà – d’un côté ou de l’autre du purgatoire – et les embrassades mettent un terme automatique auxdits regrets. Soit, du paradis, on regarde rôtir l’autre en enfer en pensant « ninx ninx, c’est bien fait ». Soit, à l’inverse, une fois chez Lucifer, nous ne pleurnichons plus que sur nous-mêmes.
Dans tous les cas, l’éternité du chagrin est un mensonge fait aux vivants et aux morts. En voilà des façons de respecter leur mémoire pour les siècles des siècles et tutti quanti spiritu sancti.

 

Aussi, sur la couronne mortuaire, un peu d’humilité, que diable. En lieu et place de l’abusif poncif, proposons par exemple :

Regrets pour la vie

ou

Regrets pour un temps qu’on espère le plus long possible

au risque d’un paradoxe insoluble vu que dans un moment pareil on n’a aucune intention de clamser de sitôt, ce qui augmente d’autant la longévité des regrets. Nous pourrissent décidément bien la vie, ceux-là.

De même, on évitera :

Nous te regretterons, salopard

en raison du contresens possible au féminin.

A tout prendre, optons pour :

Y’en a pas deux comme toi.

Ce que les regrets y perdent en solennité, ils le gagnent en tendresse et, pour le coup, en sincérité.

Merci de votre attention.