Après-ski

 

La Plagne ou Courch’ ne vous disent rien ? L’exemple suivant devrait vous décider :

Il n’y a que quand il fait frisquet que Valérie Kaprisky apprécie ses après-ski.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si l’esthétique n’est pas son fort, sur le papier, l’après-ski est un tombeur. Ne fonçons pas tout schuss sur ski ; voyons après avant.

 

Depuis un bon millénaire, l’adverbe marque un fait postérieur. Les moutons coupables de le dévoyer pour autre chose au beau milieu de la conversation :

après, c’est vrai que…

verront leur postérieur marqué au fer rouge. L’odeur de roussi s’annonce persistante.

Après nous est prêté par le latin adpressum, « près de, proche de », épluchable en ad, « à » et pressum, participe passé de pressare, fréquentatif de premere, de même sens, qu’on ne s’empressera pas de traduire on vous fait confiance. Le verbe a roulé sa bosse depuis l’indo-européen per-, « frapper », exploité à fond dans percussion. Sa sève coule encore dans opprimer, comprimer, réprimer ou supprimer, sans oublier imprimer (« presser sur ») et son double exprimer (« faire sortir en pressant »).

 

Chez ski, ce qui prête à rire, c’est surtout sa prononciation allemande : « ski machen » = [chi marren]. Les pisse-froid répondront par l’écho des montagnes. Ecco.

C’est de Norvège que ski débaroule sur nos pentes. De « long patin formé d’une lame de bois dont on se sert pour glisser sur la neige » (1842), il devient par extension la pratique érigée depuis en discipline olympique.
Mais le « bâton de bois » laisse des traces en vieil anglais (scid) ainsi qu’en chleu (Scheit, « bûche », ce qui explique au passage la prononciation susnommée). Là-dessous hiberne l’indo-européen skei-, « séparer, couper », que tout schizo connaît par cœur.

Si bien qu’un ski découpé à la scie ne peut être que tout droit (dans le décor).

Merci de votre attention.

 

Chemise

 

La chemise étant de mise, on suspecte que la mettre se disait « chemettre » en des temps reculés.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Chemiser en tout cas existe, tous les cuistots savent ça :

garnir d’un revêtement protecteur,

notamment les patates.

N’inversons pas les rôles, le verbe émane de chemise. De même que miser, c’est mettre une mise et que remiser, c’est mettre à la remise, par exemple ses chemises immettables.

 

En examinant les coutures de la belle, on découvre que « chemise de force » désigne parfois la camisole du même nom. Capillus → cheveu, canis → chien, caballus → cheval, caput → chef… Faut-il pas chercher de ce côté-là, latinistes ?

Bingo. Qu’est-ce qu’une camisole sinon une chemise à manches particulièrement longues ? Tout ça naquit chamisae au Xe siècle. Remémorons-nous sans rire avec émotion l’époque où l’on repassait sa chamise, où l’on tombait la chamise et autres locutions où la chamise est en vedette.
Au fait, ceux qui utilisent l’expression « mouiller la chemise » seront condamnés à en porter une mouillée jusqu’à ce que mort s’ensuive.

 

Prisée des troufions latins, camisia fut probablement piquée aux Gaulois, qui eux-mêmes la tenaient des premiers Germains. La piste semble s’arrêter à hamithjan. Aujourd’hui encore, en léchant les vitrines allemandes, ce ne sont qu’Hemden à l’horizon. D’aucuns s’aventurent jusqu’à voir dans le grand-breton heaven l’ombre de cette « couverture », par l’entremise de l’indo-européen kem-, « couvrir ». Vous pouvez lever les yeux au ciel. C’est oublier un peu vite qu’une chemise « enveloppe » comme pas deux, sens qu’elle a gardé en papeterie et en cuisine on se répète (l’alu, pour les patates).

 

La Camif (Coopérative des Adhérents à la Mutuelle des Instituteurs de France) n’a qu’un lointain rapport avec la camisia d’origine, bien qu’on y trouve des chemises et même à l’occasion des chemisiers vachement sympa.

Merci de votre attention.

 

« Trouver la mort »

 

Suite à un éboulis ou une tuerie quelconque, les médias font le bilan de ceux qui y ont laissé la vie. Et qui, heureusement, ont « trouvé la mort ».

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Décidément, on n’est pas à l’aise avec la Grande Faucheuse. Dès qu’elle s’invite quelque part, celle-ci, les paraphrases vont bon train :

la Grande Faucheuse,
x n’est plus,
on apprend la disparition de x,
Dieu a rappelé x à ses côtés…

Plutôt mourir que de la regarder en face.

Le lexique familier n’est pas en reste :

y rester, clamser, casser sa pipe, passer l’arme à gauche…

 

Pour « trouver la mort », c’est plus subtil : elle s’affiche en toutes lettres et vous frappe de plein fouet. Ce qui est la pire des morts, puisqu’elle survient dans des circonstances sinon tragiques, du moins suspectes.

Or trouver, c’est plutôt une bonne nouvelle, d’habitude. Trouver une pièce par terre, trouver la solution, trouver à qui parler.
En côtoyant la fin des haricots, le verbe est censé l’attendrir. Mais « trouver la mort » ne soulage personne. Sauf les journaleux, ça leur évite d’appeler un chat un chat.

 

Dans un registre nettement plus gai, on ne peut s’empêcher de « tomber amoureux » ou de « tomber enceinte ». Là encore, sans crier gare.

Or tomber, c’est plutôt une mauvaise nouvelle, d’habitude. Tomber sur un os, tomber malade, tomber sur plus fort que soi.
Associé à des événements heureux, le verbe est censé nous mettre en garde sur leur côté éphémère (afin qu’on ne tombe pas de haut). Ça ne dissuade personne. Quant aux journaleux, ils continuent à tomber raide dingue de ces tournures.

 

Attention, stricto sensu, les victimes du hors-piste ne peuvent « trouver la mort », vu qu’elles l’ont bien cherchée.

Merci de votre attention.

 

Pâmoison

 

Trop aristo, pâmoison ? Vous oubliez que les noms féminins avec la même terminaison, il y en a toute une cargaison à foison (on respire un grand coup) :
maison, frondaison, garnison, toison, inclinaison,
prison, venaison, saison, floraison, liaison, exhalaison,
oraison, pendaison, salaison, crevaison, démangeaison,
flottaison, lunaison, combinaison, guérison, trahison
et même (à peine déguisés) :
boisson et cuisson.

Mais comparaison n’est pas raison. Aussi, revenons à nos moutons, moutons.

Le suffixe -ison, plus chic que -tion, s’acoquine peu avec les verbes du 1er groupe. Attardons-nous donc sur pâmer, en particulier ce circonflexe qui ne se prononce plus dans pâmoison parce qu’on n’a pas que ça à faire.

 

Se pâmer ou tomber en pâmoison, c’est « défaillir ». Mais aussi « se flétrir » en parlant de la luzerne. Bref, se retourner les sangs d’une manière ou d’une autre, y compris en se pâmant d’admiration (ce que ne fait jamais la luzerne, ce monstre d’orgueil).

L’émotion n’est pas neuve. Le verbe non plus, qui remonte à 1050, époque où est attesté le participe pasmede (« évanoui ») :

Veit mort son fil, a terre chiet pasmede.

Et tout le monde de se pasmer pour les vers du poète.

 

Circonflexe circonflexe. De quoi le s de pasmer/pâmer est-il le vestige ? De spasme, les enfants. Grec spasmos, latin spasmus, devenu pasmus au terme de légères convulsions. Et aussi sous l’influence du grec pasmos, « palpitation, battement du pouls ». Yoyo qui n’est pas sans rappeler l’anglais span (« envergure ») et notre propre expansion, bâtie sur l’indo-européen spe-, « étendre, étirer ».

Ainsi, espame désignait une syncope avant que pasmoison ne lui soufflât la vedette.

 

Au lieu de pâmoison du reste, c’est pâme qui a bien failli s’imposer. C’était même à deux doigts : « tomber dans les pommes » n’est autre qu’un détournement de « tomber dans les pâmes », qu’on a laissé tomber depuis.
Il y a de quoi se pâmer devant l’étymo.

Merci de votre attention.

 

Dèche

 

Les zenquêtes le montrent : notre hantise la plus largement partagée – khrîse aidant – est de tout perdre. Et bang ! la dèche. Que d’avantages pourtant, si l’on y pense. Dormir à la belle étoile, économiser loyer, impôts, mener une vie de patachon…

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dèche ne désigne pas seulement des comptes dans le rouge mais aussi une pénurie, toujours embêtante quoique momentanée :

Y’a jamais de basilic punaise, c’est la dèche.

On suppute, en observant la bestiole immobile aux jumelles, qu’elle pourrait être l’abréviation populaire de déchéance. Bingo, si je puis me permettre : son premier sens, attesté en 1835, correspond à une « perte au jeu ». Dix ans plus tard, au prix d’un triste dénouement, c’est un « dénuement ».
Les bons dicos la font donc choir de déchoir, formé sur le latin cadere, « tomber » (songeons à décadence). La progéniture du verbe est si nombreuse que dans la dèche on est de facto exempté d’impôts c’est bien ce que je disais :

Casus, déverbal de cadere : hasard (→ occasion, cas) ;

Incidere : tomber par hasard (→ incident, incidemment, coïncidence) ;

Recidere : retomber (→ récidive) ;

Occidere : tomber mort (→ occire et toute la famille des homicides, fratricides, suicides… mais aussi l’occident bien sûr, là où le soleil se couche !)…

Y’en a encore des cascades.

 

Le succès inaltérable de dèche prouve que le français ne craint décidément personne en matière d’apocopes. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Proposons sur le même mode déf (pour déficit, défaut de paiement), hypo (-thèque), pète (-rin), beuse (-oin, sans rapport avec la pauvreté du buzz), avoir bite-cout (« n’avoir que sa bite et son couteau ») et être groj (« Gros-Jean comme devant »). A ne surtout pas confondre avec toucher le grol (pour gros lot).
De même, on évitera baraka en raison du contresens possible « avoir la baraque à payer ».

Merci de votre attention.