Reprendre sa respiration

 

Quiconque réussit au millième de seconde à monter dans le bus ou dans le train au prix d’un sprint d’anthologie passera tout le trajet à (soi-disant) reprendre sa respiration. Comprenez ahaner dans son coin, avec un point de côté, d’anthologie lui aussi.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

La honte du voyageur à la bourre est au moins compensée par la satisfaction de n’avoir pas sué en vain. On ne peut pas en dire autant de l’expression elle-même.

Notre dératé avait-il « perdu » sa respiration, qu’il lui faille la « reprendre » ? Essoufflé comme il est, il vous semble au contraire qu’il n’a jamais respiré aussi fort de toute sa vie, même du temps où le toubib lui en intimait l’ordre à coups de stéthoscope gelé. Tirez-lui les vers du nez (dès qu’il sera en état) : en réalité, il n’aspire qu’à « reprendre une respiration normale ».

D’ailleurs, cet essoufflement ne relève-t-il pas lui aussi de l’abus de langage ? On ne reprend pas plus son souffle que sa respiration. Il faudrait déjà que le pouls s’arrête avant de repartir miraculeusement. Or, votre homme n’a pas frôlé la mort, si ce n’est en bravant la circulation et la foule hostile. Et qu’il ne vienne h-h-h pas h-h-h vous expliquer h-h-h qu’il a h-h-h couru « à perdre haleine », formule là encore aux antipodes de la chamade susdite.

 

Quittons le terrain cardiaque, décidément propice aux ornières. Le drôle n’est-il pas plutôt en train de « reprendre ses esprits » ? Vous le faites exprès. D’où viendrait ce pluriel ? Quoiqu’on soit rarement tout seul dans sa tête, aucune autre expression similaire ne nous vient aux esprits.
D’ailleurs, celui de votre retardataire était-il en stand-by lorsqu’il luttait contre la montre ? Toutes ses facultés, mentales et physiques, n’étaient-elles pas au contraire au taquet ?

 

Retrouvons notre calme. « Reprendre sa respiration » n’est pas plus sensé que « reprendre ses globules » ou « ses chromosomes ».
De toute façon, rien ne sert de courir, vous attraperez le prochain.

Merci de votre attention.

 

Voiture

 

Faut toujours que les choses de la vie courante se parent d’un nom savant. Fermeture Eclair pour braguette, réfrigérateur pour frigo, horodateur pour machine à sous… Sans qu’on lui ait rien demandé, le politiquement correct a ouvert les vannes en grand : « SDF » pour vagabond, « crème dessert » pour yaourt, « bâtonnets ouatés » pour coton-tiges. Imbattables, ceux-là.
A la voiture, certains préfèreront donc l’automobile qui bouge toute seule ou quasi.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Les puits de science que vous êtes savent qu’on n’a pas attendu l’automobile pour se déplacer en voiture. Simone ? C’est exact, à défaut de moteur, les carrioles avaient forcément besoin d’animaux de trait pour avancer. Entre toutes, c’était donc la « voiture à cheval » que prenaient les gens pressés. A tel point qu’on trouve encore des « chevaux-vapeur » sous nos capots, je vous ferais dire.

Moyen de transport avec des roues, voilà le concept. Contrôle du véhicule.

Bé justement, véhicule et voiture sont comme qui dirait cousin-cousine. Si en 1283 on descendait de voiture (cette « caisse ou plate-forme montée sur roues, tirée ou poussée par un être animé et servant au transport »), au début du même siècle on avait pourtant pris place dans ce qui n’était encore qu’une veiture ou veicture (du nom latin à peine customisé vectura, « transport », formé sur le participe passé de vehere, de même sens). Véhicule est en embuscade, vous aurez aussi reconnu vecteur, le filou. De même, si invectiver nos contemporains est consubstantiel à la voiture, c’est qu’on y est invectus : « transporté (par la colère) ». Ce que langue veut…

Il a fallu attendre 1769 pour que le vieux Joseph Cugnot fît enfin pétarader le bazar. Son « fardier », quoique destiné à ne trimbaler que des fardeaux (des engins de guerre en l’occurrence), signait l’acte de naissance de la voiture.

Oui Simone ? Excellente remarque : depuis les débuts du rail, c’est toujours comme ça qu’on appelle un wagon. Et on aurait tort de se priver, l’est construit sur le même radical wegh (« transporter, se mouvoir ») qui sert partout depuis sept millénaires. En latin donc (vehere, vehiculum) mais aussi en sanskrit (vahanam), dans les langues slaves (vozu, vezu, povozka), nordiques (wega, vega), ainsi qu’en vieux saxon et en vieux germanique (wagan, devenu Wagen et wagon).
Bien Simone, c’est aussi de là que viennent weg et way. Les voies de l’étymo sont d’un pénétrable…

Merci de votre attention.
Et merci à François Rollin pour le prêt de Simone.