Quiconque réussit au millième de seconde à monter dans le bus ou dans le train au prix d’un sprint d’anthologie passera tout le trajet à (soi-disant) reprendre sa respiration. Comprenez ahaner dans son coin, avec un point de côté, d’anthologie lui aussi.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
La honte du voyageur à la bourre est au moins compensée par la satisfaction de n’avoir pas sué en vain. On ne peut pas en dire autant de l’expression elle-même.
Notre dératé avait-il « perdu » sa respiration, qu’il lui faille la « reprendre » ? Essoufflé comme il est, il vous semble au contraire qu’il n’a jamais respiré aussi fort de toute sa vie, même du temps où le toubib lui en intimait l’ordre à coups de stéthoscope gelé. Tirez-lui les vers du nez (dès qu’il sera en état) : en réalité, il n’aspire qu’à « reprendre une respiration normale ».
D’ailleurs, cet essoufflement ne relève-t-il pas lui aussi de l’abus de langage ? On ne reprend pas plus son souffle que sa respiration. Il faudrait déjà que le pouls s’arrête avant de repartir miraculeusement. Or, votre homme n’a pas frôlé la mort, si ce n’est en bravant la circulation et la foule hostile. Et qu’il ne vienne h-h-h pas h-h-h vous expliquer h-h-h qu’il a h-h-h couru « à perdre haleine », formule là encore aux antipodes de la chamade susdite.
Quittons le terrain cardiaque, décidément propice aux ornières. Le drôle n’est-il pas plutôt en train de « reprendre ses esprits » ? Vous le faites exprès. D’où viendrait ce pluriel ? Quoiqu’on soit rarement tout seul dans sa tête, aucune autre expression similaire ne nous vient aux esprits.
D’ailleurs, celui de votre retardataire était-il en stand-by lorsqu’il luttait contre la montre ? Toutes ses facultés, mentales et physiques, n’étaient-elles pas au contraire au taquet ?
Retrouvons notre calme. « Reprendre sa respiration » n’est pas plus sensé que « reprendre ses globules » ou « ses chromosomes ».
De toute façon, rien ne sert de courir, vous attraperez le prochain.
Merci de votre attention.