Comment tout avaler d’une traite ?

 

A peine vaquez-vous à une occupation que le devoir vous appelle. Si vous êtes dans votre bain, encore vous suffit-il d’enjamber la baignoire et de nouer une serviette là où je pense, en poussant un rogntûdjû pour la forme.

Mais lorsque vous êtes en train de bouffer ? On vient vous interrompre la bouche pleine, ce que tous les codes du savoir-vivre condamnent avec fermeté. Et pas moyen d’y couper : c’est maintenant ou tout de suite. Mieux vaut lâcher votre frichti toutes affaires cessantes, sans quoi vous passerez pour un tire-au-flanc et c’est vous qu’on lâchera pour finir.

Or, vous venez à peine de commencer. Sauter un repas n’est déjà pas recommandé, pas question de crever la dalle dans une heure – sans parler du soin avec lequel vous aviez préparé votre gamelle.

Foutu pour foutu, la tentation est grande de tout gober d’un coup. Mais avez-vous songé à l’indigestion et au charivari gastrique ?

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en Gargantua civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Vous aviez prévu de gueuletonner à l’abri des regards. Puisqu’on vient vous chercher, partagez votre pitance avec l’ennemi, qui pensera moins à vous emmerder.

 

♦  Au foot, surtout si vous êtes goal, évitez de vous faire mal voir du petit teigneux qui vous sert de capitaine. Enfournez comme vous pouvez et, quand celui-ci viendra vous congratuler après un arrêt dont vous avez le secret, recrachez-lui tout à la gueule.

 

♦  Et l’arête de poisson ? Les statistiques les plus affolantes courent sur les décès par étouffement. Devenez vegan, ça vous coupera l’appétit pour un moment.

 

♦  Solidarité avec les vaches toujours : prenez exemple sur le système digestif des ruminants. Une simple greffe et vous pourrez régurgiter à l’envi.

♦  Faites-vous respecter, nom de nom. Face à ceux qui vous pressent de tout mettre dans la bouche, une seule solution : la grève de la faim.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Episcopat

 

Point fort : swingue encore plus terrible que récalcitrant. Pour s’en convaincre, il suffit de le chuchoter ad lib. :

épiscopat-épiscopat-épiscopat

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On ne fait pourtant pas plus raide qu’épiscopat :

dignité, fonction d’évêque, temps pendant lequel un évêque exerce sa fonction

en jargon à mitre.

Et plus largement (dans le milieu, on aime quand ça impressionne) :

ensemble des évêques de l’Eglise universelle ou d’une Eglise particulière.

 

Sa sonorité est trop plaisante pour qu’il s’en tire à si bon compte. Certes, épiscopable (« susceptible d’être élevé à l’épiscopat ») rase les murs avec son air coupable. Mais pendant ce temps-là, épiscope se hisse au rang d’« évêque ». Episcopéen se pique de « ressembler à un évêque ». Les habitants de Pont-l’Evêque dans le Calvados ? Tous pontépiscopiens, et ils n’en font pas tout un fromage.

 

Or çà, comment est-on passé d’épiscopat à évêque ? Comme d’hab, nous ensevelîmes le p d’episcopus, échappé du vieux grec (échavvé du pieux grec en l’occurrence) episkopos.

Notre « évêque » et le bishop anglais font donc bien partie du même épiscopat : ce dernier s’est d’abord appelé bisceop. Observez la parenté avec episkopos, l’« observateur », celui qui « voit au-dessus ».

Epi- est connu depuis le premier épisode. Quant à -skopein, les copains, sa descendance se téléscope à qui mieux mieux, du microscope au magnétoscope en passant par la coloscopie car faut bien et autres Scopitone.

 

D’ailleurs, episcopus a donné obispo en Espagne. Où, c’est bien connu, la cloche pascale retentit dans tout l’évêché (et Dieu sait qu’elle sonne fort).

 

Pour votre gouverne, sachez enfin que l’anagramme d’épiscopale fait escalope 3,14159265359.

Voilà qui calmera ceusses qui croient aux miracles de la transsubstantiation.

Merci de votre attention.

 

Basse-cour

 

C’est de la triche, caquetez-vous déjà, l’étymo d’un nom composé, on peut tenir le crachoir trois jours avec ça. Vouliez qu’on s’attaque uniquement à cour ? C’eût été trop court. Qu’à basse ? Absurde : pourquoi justement au féminin ? Pourquoi pas, auraient répondu les blasés du masculin qui l’emporte. Et tout le monde de se bastonner à coups de « théorie du genre ».

Mais revenons à notre basse-cour, moutons.

A notre époque urbanisée, rurbanisée et rerurbanisée, l’idée que nous nous faisons de l’endroit est peu ou prou celui où cohabitent veau, vache, cochon, couvée (pas vous mes moutons, de peu). Plus tout le bestiaire par métonymie. Afin de bien embrasser la notion de basse-cour, si on revenait aux fondamentaux, comme disent les khôns ?

Pour l’architecte, basse-cour est la « cour intérieure d’une forteresse », par définition plus basse que la tour d’enceinte. Ou, pour les non-châtelains, la « cour distincte de la cour principale, où se trouvent les écuries et les dépendances ». Il fut même un temps où basse-courier était un full-time job, comme disent les khôns. L’individu occupant cette noble fonction se voyait confier les soins de la basse-cour – ramasser les fientes d’Edwige, en gros (Edwige étant la poule favorite de Monsieur et Madame). Et Dieu sait si elle en usinait de la chiure, Edwige.

 

Au Xe siècle (vous vexez pas si on accélère un chouïa), cort ou curt désignait l’« espace découvert entouré de murs », partant, la « ferme » (vous l’avez cherché) ainsi que la « résidence d’un souverain et de son entourage » (écrit cour à partir de Louis XIV).
D’où plus tard « faire la court », courtiser (afin de gagner les faveurs de qqn).

Bien plus tôt, on avait formé cohors, « cour de ferme » aussi bien que « troupe » des campements romains (cohorte), sur cum (« avec ») et hortus (« jardin clos »).
Et hop ! Horticulture. Hortensia. Hortense, toujours fourrée avec Edwige.
(Au passage, qu’on regarde à cour ou à jardin, comme disent les metteurs en scène, l’étymo s’en bat l’œil, c’est kif-kif.)

Cohors suit ensuite son cours vers le bas latin curtis.
A ne pas confondre avec le court latin bassus qui, avant de mettre bas bas, est attesté au sens de « gras, obèse ». Baba, qu’on en reste.

 

Basse-courier dut tomber en désuétude quand la confusion avec cette dondon de factrice commençait à devenir embarrassante. Edwige n’eut alors pas d’autre choix que de se torcher toute seule, toute Edwige qu’elle était.

Merci de votre attention.

 

Vachement

 

Vous pensiez vache sacré ? A l’abri de la désuétude ? Vingt contre un que l’épithète et son excroissance vachement auront bientôt rejoint la cohorte des fichtrement, diantrement et autres bigrement has-been.

Mais revenons à nos vaches, moutons.

Vache est particulièrement prisé de l’argot dès le début du siècle dernier (« Mort aux vaches ! » adressé à la flicaille, « Ah les vaches ! » à des salauds lambda ; quant à « l’amour vache », on s’y rend coup pour coup). Connotation étonnamment belliqueuse quand on connaît le caractère du coolos animal. Le seul de son règne, d’ailleurs, à avoir mis bas un tel adverbe. Et glouton-gloutonnement ? Ta-ta-ta, le morfal sur pattes fut ainsi baptisé du fait de sa gloutonnerie.

Ce sens péjoratif a permis, en 1906, l’éclosion de vachement (« d’une manière méchante »). Après-guerre, retournés comme une crêpe, adjectif et adverbe deviennent des superlatifs familiers. De l’interjection admirative ou incrédule :

La vache ! (= Bigre !),

nous sommes passés à :

Vachement beau comme coin !

ou, par locution :

Un vache de beau coin.

Il arrive que d’aucuns, d’humeur guillerette, y aillent de leur « vachtement ». Les linguistes assermentés qualifieront la chose par un mot vachement savant dont ils ont le secret.

 

Voyez-vous ça, bien avant de voyager via le latin vacca, notre vache viendrait d’une antique langue indienne, le védique, où vaçati signifie « mugir ». Véridique ! C’est Littré qui le dit. Et vu que nous avons formé mugir (de l’ancien français « muir ») sur le meuh de la vache, qui nous dit que les verts pâturages d’Inde ne retentissaient pas de « wazaaaaa » ?

De même, si le grognement du cochon (« groink ») semble tout indiqué, on est bien embêté pour désigner le cri du cochon d’Inde. Le malaise grandit encore dans le cas de la dinde d’Inde. Laquelle, loin de glouglouter comme nos ressortissantes à jabot, s’épuise en « booollywood ! booollywoooood ! » qui ne laissent pas d’intriguer la communauté scientifique.

Merci de votre attention.