Le succès d’ahuri est tel qu’il se décline en deux versions (nom et adjectif). Un ahuri arbore un air ahuri 24h/24, étant tombé dans l’ahurissement quand il était petit.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Si l’on emploie volontiers ahurir au figuré :
jeter dans la stupéfaction, frapper d’étonnement,
le verbe signifie proprement
faire perdre la tête.
Vos vieux réflexes vous soufflent déjà la suite. A- pour passer d’un état à un autre, -ir, infinitif, le tout emboîté à la hure du sanglier furetant dans les forêts gauloises. Obélix, quand tu nous tiens.
Ce que confirme l’ahuri de 1270 :
qui a une chevelure hérissée.
Comme qui, comme qui ? Sus scrofa, pour vous servir.
Hure, au même siècle, désigne ainsi la
tête hirsute d’une bête féroce.
Mais arrêtons-nous sur hirsute. Serait-ce pas la même racine (de cheveux) ? Et hair par la même occasion ?
En effet, on n’a pas donné un coup de peigne à hirsute depuis le latin hirsutus, qui rime avec Bluetooth (là n’est pas son moindre défaut). Hirsutus, irsu d’hirtus de même sens, descend de ghers-, l’indo-européen pour dire « dru » ou « se dresser, se hérisser » (tiens donc). Hair a poussé là-dessus, le doute n’est plus permis.
Notez que pour les premiers zacadémiciens, ahurir était familier comme l’est aujourd’hui ahuri. Ahurissant, non ?
Ceusses qui connaissent leur loustic sur le bout des doigts… restez, maintenant que vous êtes là. Z’en serez quittes pour une cure de classiques. Les autres, il ne sera pas dit que le restant de votre vie et Richard Gotainer suivent deux routes parallèles.
Gotainer est un faiseur de chansons vachtement mésestimé, pour dire le moins. Youki, Sampa et autres Femmes à lunettes, trop potaches pour être honnêtes ? A priori bébête, qui revient à reprocher à Jean-Marie Bigard ses sketches à 8 bites/seconde, sans voir que Les expressions, La chauve-souris ou La valise RTL ne sauraient prendre une ride.
Revenons à mon Riri. Pas plus tard qu’en 2010, face aux aspirants musicologues de la Sorbonne (ben quoi ?), le coquin détourne le clicheton à son avantage, se définissant comme un « obsédé textuel ». Pirouette, une de plus. Réécoutons Halleluya ou Chlorophylle est de retour. Pas de doute, Gotainer est un génie puisqu’il entend se donner les moyens de la démesure. La gloire le rattrapera un jour. Seulement, comme il est timide, il ose pas le dire – c’est tout à son honneur.
Deux-trois citations en passant pour remettre les béotiens d’équerre. Oyère.
Elle ne planait jamais plus haut Que le plus haut d’ses bigoudis ;
Et puis parler, ça fait du bruit Quand l’un dit oui et l’autre non ;
Devenu bossu tant il rit dessous sa houppelande L’extravagant homme des lubies se dandine dans la lande.
Dans la bouche du premier venu, on flancherait limite dans la préciosité. Pas chez lui. L’hurluberlu qui sort de l’œuf assimile houppelande, guingois, mastodonte, hure, galure, itou comme le meilleur miel. Fluidité de la langue servie par un chant au-dessus de tout soupçon, quelque brise-cou que soient les saloperies merveilles réservées par ses compères mélodistes* (surprises garanties à la millième écoute). Notre homme te me vous enquille ça avec un naturel à tomber par terre. Moitié de rire, moitié de jalousie, il faut bien le dire.
Le taquin et la grognon, les Contes de traviole au grand complet, les « quatre saisons » de Chants Zazous, autant de chefs-d’œuvre que ne terniront pas redites et fourvoiements. Car qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre (puisqu’apparemment, faut tout vous expliquer, aujourd’hui) ? Rrrrrréponse : impossible de repérer, du texte ou de la musique, lequel s’est pointé en premier. Imaginez Yesterday ou Avec le temps sous un autre habillage : c’est siamois, tout ça.
D’ailleurs, à quel interprète doit-on de se lever tous pour Danette, de siffler Belle des Champs et de tenir la patate grâce à « Vittel, buvez, éliminez » ? Message et ritournelle bras dessus bras dessous pour toujours, l’exercice est évidemment dans les cordes du garçon.
Lequel aura réussi, sous couvert de déconnade, à rendre l’amour des mots et l’amour des sons hautement contagieux.
Vive Gotainer.
Et vive la Gaule.
* Le bonjour (à genoux) à Celmar et Claude, sans qui…