Voiture

 

Faut toujours que les choses de la vie courante se parent d’un nom savant. Fermeture Eclair pour braguette, réfrigérateur pour frigo, horodateur pour machine à sous… Sans qu’on lui ait rien demandé, le politiquement correct a ouvert les vannes en grand : « SDF » pour vagabond, « crème dessert » pour yaourt, « bâtonnets ouatés » pour coton-tiges. Imbattables, ceux-là.
A la voiture, certains préfèreront donc l’automobile qui bouge toute seule ou quasi.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Les puits de science que vous êtes savent qu’on n’a pas attendu l’automobile pour se déplacer en voiture. Simone ? C’est exact, à défaut de moteur, les carrioles avaient forcément besoin d’animaux de trait pour avancer. Entre toutes, c’était donc la « voiture à cheval » que prenaient les gens pressés. A tel point qu’on trouve encore des « chevaux-vapeur » sous nos capots, je vous ferais dire.

Moyen de transport avec des roues, voilà le concept. Contrôle du véhicule.

Bé justement, véhicule et voiture sont comme qui dirait cousin-cousine. Si en 1283 on descendait de voiture (cette « caisse ou plate-forme montée sur roues, tirée ou poussée par un être animé et servant au transport »), au début du même siècle on avait pourtant pris place dans ce qui n’était encore qu’une veiture ou veicture (du nom latin à peine customisé vectura, « transport », formé sur le participe passé de vehere, de même sens). Véhicule est en embuscade, vous aurez aussi reconnu vecteur, le filou. De même, si invectiver nos contemporains est consubstantiel à la voiture, c’est qu’on y est invectus : « transporté (par la colère) ». Ce que langue veut…

Il a fallu attendre 1769 pour que le vieux Joseph Cugnot fît enfin pétarader le bazar. Son « fardier », quoique destiné à ne trimbaler que des fardeaux (des engins de guerre en l’occurrence), signait l’acte de naissance de la voiture.

Oui Simone ? Excellente remarque : depuis les débuts du rail, c’est toujours comme ça qu’on appelle un wagon. Et on aurait tort de se priver, l’est construit sur le même radical wegh (« transporter, se mouvoir ») qui sert partout depuis sept millénaires. En latin donc (vehere, vehiculum) mais aussi en sanskrit (vahanam), dans les langues slaves (vozu, vezu, povozka), nordiques (wega, vega), ainsi qu’en vieux saxon et en vieux germanique (wagan, devenu Wagen et wagon).
Bien Simone, c’est aussi de là que viennent weg et way. Les voies de l’étymo sont d’un pénétrable…

Merci de votre attention.
Et merci à François Rollin pour le prêt de Simone.

 

« Poutching-ball »

 

Tout va trop vite, tout fuse, tout raccourcit. Autant de motifs de geindre sauf pour ce qui est des jupes, car les jours rallongent dans la même proportion. Prise dans ce maelström, notre prononciation subit des mutations insoupçonnées : témoin le « poutching-ball », qui peu à peu évince le punching-ball qui l’avait précédé.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Pour mémoire, l’objet servait aux boxeurs à mesurer leur punch grâce à un manche flexible faisant, gaw gaw, toujours revenir la ball à hauteur de bourre-pif. Ce dispositif permettant de se défouler sans compter a pris en cinq sec le sens figuré de « souffre-douleur ». Good.

C’est alors qu’a surgi une espèce intermédiaire ayant nom « pountching-ball ». Première bizarrerie de dame Nature : l’émergence d’un [u] comme dans putsch, qu’on ne retrouve ni dans la poigne susmentionnée [pʌnʃ], ni chez le puncheur cher aux commentateurs cyclistes (même prononciation), ni, en poussant jusqu’aux Antilles, dans le ratafia éponyme [pɔ̃ʃ].
Sans blague, ululez punch, pour voir. Si si, soyez pas timides ! M’étonnerait que les dieux de la phonétique ne vous foudroient pas de tout l’opprobre qui est en leur pouvoir.

Et c’est bien dommage car, du coup, point ne leur en resterait pour punir les lettrivores adeptes du « poutching-ball ». Un n vous manque et tout est dépeuplé, n’ayons pas peur des mots. En tout cas, de çui-là, on risque pas d’avoir peur, comparé au compagnon d’échauffement des brutes de tout à l’heure. Déjà, « pountching-ball » faisait fillette mais avouez que « poutching-ball », dans le genre tantine, ça se pose là.

On conçoit qu’amputé d’une consonne, le dernier-né file plus droit en bouche. Quant au pourquoi du [u], on le cherche encore. Analogie subliminale avec les coups portés ? Le souffle du sportif (ffh ffh) calqué sur son jeu de jambes ?
Mystères de la francisation.
Dans l’absolu, on n’a rien contre celle-ci, attention, c’est le jeu. Où irions-nous sans wagon ? Oserions-nous l’ouvrir aussi grand sans « chouingue » ? Et je ne vous parle même pas du shampooing, ce prodige de tortuosité (ajout d’un suffixe qui est un contresens dans la langue d’origine, auquel on applique notre propre phonétique, à l’inverse par surcroît de la syllabe qui précède ; y’a pas à dire, on aime quand ça mousse, nous autres).

 

Décomposons le mouvement :

Punch = [pʌnʃ], on ne revient pas là-dessus ;
ing = [iŋ] comme dans chewing-gum (et sortez-moi ce « chouingue » de la bouche) ;
ball = [bɔ:l], ça roule tout seul.

Espèces de bloody frogs, comment faites-vous pour articuler punching-ball autrement qu’à l’anglo-saxonne ?
Vous la voyez, celle-là ?

Merci de votre attention.