Comment chanter avec ses tripes ?

 

Si vous projetez d’exposer votre filet de voix, chanter avec vos tripes est la condition sine qua non. Entourage, mentor, jury quelconque, à charge pour vous de les « entraîner dans votre univers » avec toute la conviction et/ou le coffre possibles. Autrement dit, vos tripes doivent les faire tripper, ou alors c’est pas la peine.

 

Mais comment laisser s’exprimer organes et viscères ? Il n’existe pas de mode d’emploi. Sans doute pour ne pas heurter la sensibilité des spectateurs.
De cette alchimie mystérieuse dépend pourtant le succès de votre carrière. Mettez donc toutes les chances de votre côté.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en interprète civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

♦  Evitez la tripe pré-cuite, mauvaise imitation de la tripe industrielle qui elle-même ne suscite aucune émotion (autre que des émotions industrielles). Idem pour les intonations de la voix, qui ne supportent pas la contrefaçon. De manière générale, laissez les affaires des autres tranquilles, vous avez déjà assez à faire avec les vôtres.

 

♦  Choisissez le meilleur tripier de la région et dévalisez l’officine. C’est bien le diable si votre prestation, accompagnée de tripes à la mode de Caen top moumoute, ne rafle pas tous les suffrages.

 

♦  Chantez avec vos tripes, on se tue à vous le répéter. Privilégiez la vésicule biliaire, au rendu incomparable.

 

♦  Reléguez le micro au placard une fois pour toutes et remplacez-le par du foie ou du rein. Pensez à en avertir le preneur de son, car le raccordement des artères nécessite du doigté.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Live

 

Vous aviez rotin ou atelier vinaigrette mais permettez que je vous coupe dans votre élan : il y va du bon usage de live. Non le verbe anglais [liv] dénué de toute équivoque, mais son rejeton [lajv]. Adopté par maintes langues dont la nôtre, il règne quant au sens de l’adjectif un certain flou. « En direct » ou « en public » ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Sur les ondes, live se dit sans sourciller d’une émission « en direct ». S’agissant d’une captation destinée à un support audio ou vidéo, c’est au contraire « en public » qui vient à l’esprit. « Au contraire » insisté-je, car les faits sont têtus : on peut entendre une causerie confinée aux murs d’un studio « en direct » aussi bien que refroidie devant de nombreux témoins.

Car entendons-nous bien, live n’est qu’alive élagué. La langue française glorifie bien le « spectacle vivant » dès qu’un zintermittent arpente une scène en chair et en os. Pour curieuse qu’elle passe aux esgourdes des non natifs, l’expression se justifie pleinement : je pourrais vous citer une paire de « spectacles morts » à éviter de toute urgence.

 

En terre angliche, live au sens de « en personne » est attesté en 1934. La TSF y apparaissant quelque quinze berges plus tôt, tout porte à croire que le glissement sémantique s’est opéré fissa de l’artiste (« en public ») à l’animateur (« en direct »), selon qui se trouvait dans la lumière. Le transistor a rendu cette personne invisible pour l’auditoire et réciproquement. Lacune « physique » qu’est sans doute venue combler l’acception « en temps réel »…

 

A l’oral, la faille spatio-temporelle s’estompe carrément :

Il l’a fait comme ça, live !

(« devant moi » / « dans l’instant »).

Le mot sert même d’excuse aux ratages de tous ordres :

 Allez, pas grave, c’est du live…

De la spontanéité érigée en grand n’importe quoi (on n’est pas tenu d’adhérer).
Comble de la dépréciation,

 c’est parti en live

supplante régulièrement des tournures déjà fort argotiques comme « en vrille » ou « en sucette ».

Sautant à pieds joints dans la redondance, le français a donc fabriqué « en live » et même « en direct live », censés accentuer l’importance de l’événement. Dans le genre « qui voudrait avoir l’air mais qu’a pas l’air du tout », nous tenons notre rang avec une constance qui force l’admiration.
Il s’en faudrait de peu que live ne parte « en couille ».

Merci de votre attention.