La journée sans rien

 

De même qu’on est toujours le khôn de quelqu’un, il est peu probable qu’aujourd’hui n’ait pas été décrété « journée de [cause quelconque] ». Pour savoir laquelle précisément, se reporter au calendrier qui les recense toutes.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

La plus connue est sans doute celle dédiée aux filles du sexe féminin. Qui occulte un inventaire à la Prévert où la baleine côtoie le scoutisme, l’asthme le scrapbooking et les zones humides les mutilations génitales (aucun lien officiel).
Et quand on est à court d’idées, Blue Monday ou Black Friday de rigueur.

 

Heureusement, pas plus de 365 possibilités sur le papier (366 avec les joies du bissextile). La liste ne peut donc s’allonger indéfiniment. Que vous croyez.

Car sitôt une cause perdue, on arrêtera de se souvenir qu’il ne faut pas l’oublier et sa journée deviendra la journée d’autre chose.

De plus, rien n’interdit de charger une journée à ras bord. Nous sommes tenus, rien que pour le 20 mars, de célébrer le bonheur, le moineau, la santé bucco-dentaire (ça tombe bien, c’est aussi la journée sans viande), le macaron (ça tombe mal, voir ci-contre), la francophonie, le conte et même le début de la semaine internationale pour les alternatives aux pesticides. Faites vos jeux.

 

D’ailleurs, fête-t-on vraiment quoi que ce soit ? Disons qu’on met à l’honneur, ce qui ne mange pas de pain. Et le lendemain, tout le monde se réveille sans plus y penser, nouvelle cause oblige.

 

Et les anniversaires ? La Saint-Valentin ? Purs prétextes à festoyer ou à s’offrir des fleurs. Pour le moins arbitraire, non ? Pourquoi la personne mériterait-elle plus votre attention ce jour-là ? De l’astrologie déguisée, ou on ne s’y connaît plus.

Et que dire de notre calendrier, basé sur les frasques (supposées) d’un porteur de croix (paraît-il) ? Une secte déguisée, ou on ne s’y connaît plus.

Et si le jour J est un jour sans ? Le contrôle continu au bac, l’homologation des résultats sportifs à l’entraînement, voilà qui éviterait bien des injustices.

 

Cherchez pas la journée du mouton : lui, c’est toute l’année.

Merci de votre attention.

 

Putain de putain

 

Avoir recours aux travailleuses du sexe pour les accorder en genre et en nombre avec un substantif est une putain d’habitude dont on n’est pas près de se défaire. Y compris dans les lupanars.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Que putain serve à appuyer n’importe quel propos, passe encore. La morale aurait été sauve avec mâtin, mazette ou saprétonnerre mais à raison de 12 513 fois par jour (fourchette basse), disons qu’on a pris le pli.

De là à compoter en locution pour exprimer son admiration, son agacement ou Dieu sait quel fugace ragnagna, il y a de la marge.

Tiendront jamais, ces putains de vis.

Que viennent faire les péripatéticiennes là-dedans ? On se le demande. Du bricolage, cette expression.

 

Les vieilles peaux geindront que ah la la, de leur temps, on n’était pas si mal élevé. Certes mais on employait des procédés similaires, et pas moins absurdes. Pourquoi désigner la moindre chose sortant de l’ordinaire par sacré ou, à l’inverse, satané ?
Comble du blasphème, certains n’hésitent pas à invoquer le « nom de Dieu », devenu (pour éviter le bûcher) bou diou, vindieu ou, ton sur ton, sacrebleu.

 

Chez les voisins, idem. Quoi qu’il s’en défendent, les sujets de la Reine n’ont que fuck à la bouche.

A fucking genius

est-il plus pertinent qu’un

putain de génie,

surtout si l’on considère sa traduction littérale ? Et sur nos côtes, que se passerait-il si on le prenait au pied de la lettre ?

De même, il suffit de se représenter

holy shit

mentalement pour commencer à rougir de honte.

 

Le trajet des mots est parfois aussi erratique que celui du client en chasse.

Merci de votre attention.

Comment faire avaler à autrui que personne oncques ne clamse ?

 

Contrairement au bébé ou à l’éléphant s’ébrouant dans leur parc, l’homme sait qu’il va mourir. Tristesse fondamentale dont ne le console guère son intelligence supérieure.

Du reste, que vaut-il mieux ? Etre khôn comme une mouche et tout ignorer de ce destin funeste ou conscient de sa finitude et mettre à profit chaque seconde ?

 

On vous voit venir. Soumis à la dure loi de la jungle, l’animal ne sait-il pas que la mort rôde ? Assurément si : autour de lui seulement. Il ne fait déjà pas le rapprochement entre coït et reproduction, laissons-le au moins copuler tranquille sans rien lui révéler de ce qui l’attend quand le prédateur fond.

 

Quant à vos semblables, vous pouvez toujours apaiser leur angoisse en les persuadant que la mort n’existe pas, malgré les apparences.

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en dissimulateur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  La plus courue : entrer dans les ordres. A force de seriner à vos ouailles qu’il y a une vie après la mort, c’est bien le diable s’ils ne finissent pas par l’intégrer. L’une ou l’autre brebis égarée s’interrogera sans doute : « mais comment sait-on qu’il y a un paradis et un enfer si personne n’en est jamais revenu pour en témoigner ? ». Condamnez-la au bûcher. Ce ne sera qu’un mauvais moment à passer étant donné qu’il y a une vie après la mort.

 

♦  « Mais alors, où sont passés les grands anciens s’ils sont toujours en vie ? », insistera-t-elle car plus la brebis est égarée, plus elle est têtue. Dites-lui qu’ils sont très très très très vieux et qu’ils ne peuvent plus se déplacer comme du temps de leur glorieuse jeunesse.

 

♦  « Mais alors, quid des assassins, dictateurs et autres raclures en tous genres ? Est-ce à dire qu’ils sont encore parmi nous ? ». Point point, ceux-là sont parqués dans des lieux tenus à l’écart où ils subissent des châtiments à la hauteur de leurs crimes.

 

♦  « Mais alors, qui peuple les cimetières depuis la nuit des temps ? ». Précisément les vilains ci-dessus, ils sont enterrés vivants, c’est leur punition, ils l’ont bien cherchée.

 

♦  « Et les accidents mortels alors ? ». Un complot du gouvernement pour justifier le code de la route.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Quel repas sauter (ou non) ?

 

Pour une raison x ou y (manque de temps, perte de temps, pas le temps, autant dire aucune raison valable), vous avez décidé de sauter un repas.

Autrement dit, de mettre en pièces votre rythme physiologique. Et les protestations véhémentes de votre ventre (krrrrrrrwww, garglglglgl, plllllleeeeeeaaaase) n’y feront rien.

Vous abstenir de boire, vous retenir de respirer ou vous imposer une nuit blanche ne vous ferait pas plus de tort.

 

Ce n’est pas parce que votre culte pousse au jeûne, quand même ? On ne peut pas le croire. Qu’elle prenne le nom de Carême, Ramadan ou Yom Kippour, c’est de l’auto-mutilation. Et si vous sautiez une religion, plutôt ?

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en pénitent civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

♦  Vous vous passez de petit déj tous les matins. Libre à vous de vous priver qui de confitures, qui de miels, qui de pâtes à tartiner aptes à vous dérider dès potron-minet. Cette énergie perdue à l’allumage vous transformera en limace pour la journée.

 

♦  Pas de pause déjeuner ? Vous n’y pensez pas : vous n’avez rien mangé depuis la veille.

 

♦  Ne faites pas l’impasse sur le goûter parce que ce serait moins grave. Ne serait-ce que par respect pour la boulangère, qui se sera tapé toute la pâte à choux et la crème pâtissière des éclairs pour des prunes.

 

♦  Vous n’avez jamais su la différence entre dîner et souper – si tant est qu’il y en ait une. Dans le doute, sautez les deux, ça leur apprendra.

 

♦  Résolvez le problème : devenez gréviste de la faim. Pour l’éradication de la faim dans le monde, tiens, noble cause.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Habit

 

Si quelqu’un vient vous soutenir qu’habit donne habiter, ne le rhabillez pas pour l’hiver : il n’est pas habitué à cette langue de fous.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Tout ceci est cousu de fil blanc. On ne peut pas croire que ce soit un hasard, avec le h aspiré puisqu’on ne dit pas un-hasard, contrairement à un-habit. Lequel, comme habitude oui oui, descend d’habitus, « manière d’être, maintien ».

Mais d’où vient le mot latin ? De habere, « avoir ». Si bien qu’« avoir l’habitude » hein, faut pas pousser mémé dans les orties, surtout si elle est en short, ce qui ne risque pas de se produire car mémé ne s’habille jamais comme ça.
Anglais et allemand ont beau expectorer ce h dans leurs have et haben respectifs, les étymologues le jurent le doigt sur la couture du pantalon, rien à voir avec avoir. Notre auxiliaire chéri a poussé sur le radical indo-européen ghabh-, « prendre », à l’origine de capter, captiver, capturer ou encore (du point de vue de l’ennemi) geben et give, « donner ». Sans oublier l’exhibitionniste qui « offre à la vue » ce qu’il peut, en général sous le manteau.

 

Du reste, impossible de se faire avoir : habit naît abit en 1155. Ce « vêtement de religieux » devient simple « habillement » au début du XIIIe siècle. Huit siècles plus tard, « prendre l’habit » sous-entend celui de moine. Alors même que l’habit ne fait pas le moine. L’impénétrabilité des voies du Seigneur, voilà qui est bien trouvé.

 

Et habiter ? Un ourlet à habitare, fréquentatif de habere. Ainsi, habiter aurait très bien pu signifier habiller. Imaginez alors à quels glorieux contresens nous nous serions livré :

être habité par quelqu’un ;
habiller sa maison.

 

Au fait, si habiller a des l, il le doit à l’ancien verbe abillier, « préparer une bille de bois », soit un tronc (v. billot). D’où plus tard « (se) préparer » un minimum, histoire de ne pas sortir cul nu.

Dernier point : si quelqu’un vient vous soutenir qu’un habit « fait plus habillé » que d’autres, sortez-lui votre rire XXL.

Merci de votre attention.

 

Passion

 

Parlons peu, parlons bien, parlons passion. Il suffit de comparer passion à compassion pour s’apercevoir que le passionné pâtit plus de sa passion qu’autre chose.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Qu’on se prenne de passion pour quelqu’un ou pour les timbres du Bélize, on n’en a jamais assez. D’où tac, frustration (qui mène le monde). D’où auuuugh, souffrance (qui nous perclut au point de nous rendre passifs).

Précisément, com-patir, c’est « souffrir avec ». Jusqu’à devenir compatibles, éventuellement. On s’étonne après ça que les passions soient destructrices. Et pourquoi retrouve-t-on ces s fossilisés en circonflexe dans pâtir et pas dans compatir ? Pour mieux brouiller les pistes, évidemment. Les Grecs, toujours plus malins que tout le monde, contournent le problème en faisant preuve d’empathie.

On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, no pain, no gain et autres dictons rabat-joie : toute passion n’est pas nécessairement une partie de plaisir. Parfois même, elle tient du chemin de croix : la Passion du Christ. Dieu merci, ça n’a pas existé.

 

En latin, passio naît de passus, participe de pati, « endurer, éprouver », cousin de paene (« peine », v. peinard) mais surtout fier paternel de patientia.
C’est vrai, dans la salle d’attente, le patient poireautant par paquets de trois quarts d’heure « souffre » comme jamais. L’expression « prendre son mal en patience » est taillée sur mesure, que dis-je ? cousue sur lui, ce qui n’arrange pas son cas. D’ailleurs, l’impatient ne « souffre » pas, en toute logique – ce que son comportement dément catégoriquement *.

Audiard :

Ça fait plaisir de te revoir, le Mexicain commençait à avoir des impatiences.

 

Songez enfin à la patience qu’il faut pour extraire la pulpe des fruits de la passion.
Meuh que c’est passionnant, l’étymo.

Merci de votre attention.

 

* v. celui dans votre dos à la Poste.

 

Comment avouer l’inexistence du père Noël sans passer pour un traître ?

On se demande bien pourquoi il faut en passer par le père Noël pour égayer la distribution des cadeaux. A fortiori pour que le mythe s’écroule au bout de quelques hivers.

En tant que parent, n’auriez-vous pas meilleur compte à dire d’emblée à ces petits khôns que c’est vous qui vous chargez de tout ? Non seulement vous en tireriez toute la gloire mais ils sauraient s’en souvenir en temps utile.

Au lieu de ça, afin que votre progéniture ne se doute de rien, il vous faut jouer la comédie et veiller à ce que nul n’évente la supercherie, laquelle vous révèlerez vous-même en tâchant d’être aussi convaincant qu’au premier Noël.

 

Vous ajouterez donc la désillusion au mensonge. Au risque de baisser dans l’estime du mouflet. Et de le faire baisser dans la sienne, au moment où il se demandera comment il a pu gober cette histoire de gros monsieur avec ses rennes volants.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en parent civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Pour ne pas vous dédire totalement, coupez la poire en deux. Laissez entendre au mioche que vu le boulot, le père Noël est obligé de vous déléguer les présents du foyer.

 

♦  Dans le cas où le gniard apprend par un tiers que tout ça c’est du flan, feignez de le découvrir en même temps que lui et criez au complot.

♦  Une autre solution est de ne jamais rien avouer jusqu’à votre mort. Revers de la médaille : votre descendance comptera naïvement sur papa Noël lorsqu’elle sera en âge de vous offrir des cadeaux. Avantage : vous vous les offrirez vous-même, évitant ainsi de devoir apprécier les mauvaises surprises.

 

♦  Si l’usine à chouiner vous reproche de l’avoir abreuvée de bobards, rappelez-lui que contrairement à monsieur le curé, monsieur le rabbin, monsieur l’imam et madame Irma, vous les lui signalez comme tels.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Comment guérir quand on n’est pas malade ?

 

Rien de tel qu’un esprit sain dans un corps sain (et non pas « un esprit saint dans un corps saint », puisque le Saint esprit n’a par définition pas besoin d’être incarné ce qui est drôlement bien foutu). Vaccins, check-up, vos anticorps sont au taquet.

Mais il vous tarde de retrouver la gnaque de vos trois ans, ce temps béni où vous affrontiez les virus à la queue leu leu pour en être débarrassé à jamais.
Résultat : vous vous portez comme un charme. Et celui de la guérison vous est définitivement étranger.

Redevenez le centre d’intérêt, ne serait-ce que par égard pour votre pharmacien. Vous ne demandez pas d’hépatite ou un cancer foudroyant m’enfin des coliques ou une scarlatine comme on n’en fait plus, ça ne serait pas la mer à boire.

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Solution de facilité : tomber volontairement malade. En claquant systématiquement la bise à des contagieux, par exemple. Le grand spécialiste Hypeauquon de Rillac recommande aussi l’élevage de mouches tsé-tsé, les galipettes dans le vomi ou le démantèlement de barbelés rouillés à mains nues (pour le tétanos). Et alors là, à vous la convalescence glorieuse.

Sauf qu’il vous faut préalablement morfler, on en revient toujours là.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en bien portant civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Devenez médecin. Vous passerez votre temps à guérir. Le tout est de bien caser « diagnostic » au moment opportun.

 

♦  Devenez artiste. Vous passerez votre temps à guérir. Le tout est de bien caser « catharsis » au moment opportun.

 

♦  Arrêtez de jouer sur les maux. Moutonnerie, peines de cœur, vieux traumatismes plus ou moins enfouis, si vous souhaitez guérir, il n’y a que vous qui connaissiez le remède. Alors cherchez bien, qu’est-ce que vous faites encore là ?

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

A quoi jouer la paix mondiale ?

 

Malgré les apparences, ceux qui se foutent sur la gueule ne veulent pas moins la paix que vous. A condition de la gagner. Et tous les prétextes sont bons. « La ville sainte », par exemple. Si ce n’était pas aussi tragique, ce bras de fer de cour de récré vous ferait doucement rigoler.

Là comme ailleurs, l’ONU peine à faire taire les armes. Alors quoi, rien de tel qu’une bonne guerre, comme l’assènent à l’envi les vieux schnoques de tout poil ? Vivement la 3e, qu’on se marre un peu. Somme toute, un conflit n’est qu’un jeu grandeur nature où les états-majors déplacent leurs pions en multipliant les coups tordus.

Autant éviter l’hécatombe et jouer à d’autres jeux. Mais lesquels ?

Si celui de la diplomatie ne convainc plus personne, imposez vos propres règles. Après tout, l’équilibre du monde repose entre vos mains.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en géostratège civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Soyez sport, évitez le scrabble et tous les jeux où votre alphabet dérouterait l’adversaire. Imaginez le casus belli avec les Emirats ou les faces de nems. Essayez plutôt le rami, le 421 ou un coup de poker.

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♦  Vous avez toujours eu de la chance à la roulette russe. Faites confiance à votre bonne étoile, sauf si la partie a lieu au Kremlin : il y a des hasards moins fortuits que d’autres.

 

♦  Jouez la paix à « pierre-feuille-ciseaux » (ou, selon les variantes régionales, « caillou-papier-ciseaux »). Vous seriez surpris du nombre d’armistices conclus de cette façon.

 

♦  Au moment de déclencher le feu nucléaire, avec un ou deux camarades, tâchez de découvrir la combinaison chiffrée par déduction. Attention, vous n’avez droit qu’à trois essais.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.